

LE TEMPS DES ECRIVAINS, émission du samedi 30 novembre 2019
- Charly Delwart
- Olivier Rolin écrivain
" Il faut être convaincu qu'on peut tout faire avec les mots. Dire la vie, décrire la terre entière, décrire un visage, un sourire et même l'océan. Un écrivain doit essayer de susciter la toute puissance des mots." Olivier Rolin
"L'important n'est pas de mettre un fait de ma vie en avant ou de dire : voilà ma conception. L'équivalent serait de faire un livre sur une psychanalyse sans aborder le fond mais uniquement la forme." Charly Delwart
Cette semaine dans le Temps des écrivains, une nouvelle rencontre entre deux personnalités qui font métier d’écrire. Enfin, est-ce un métier ? Métier de vivre, plutôt ? On leur demandera. Deux écrivains, en tous cas, ça c’est sûr. Dans leur dernier livre, chacun d’entre eux se livre d’ailleurs à l’exercice de l’autoportrait « en écrivant ». En le réinventant, aussi, avec en ligne de mire la question cruciale que se posait déjà Ulysse dans la grotte de Calypso, et dont l’écriture, d’ailleurs, est peut-être la réponse : "quelle est ma place dans ce monde ?"
L’algorithme d’une vie
Nous passons cette heure avec Olivier Rolin, auteur de « Extérieur monde » (Gallimard), livre total, livre d’une vie, livre de toutes les rencontres qu’il a pu faire - aux Açores ou au Pirée, hommes et femmes - et autoportrait en homme à plume, celle que l’on trempe dans l’encre.
Nous serons aussi avec Charly Delwart, auteur de « Databiographie » (Flammarion). Curieux livre, cas d’école, même, à la fois perequien et facebookien, puisqu’il s’agit d’un autoportrait sous forme de textes et de datas, infographies, courbes et graphiques divers, pour dire combien il a aimé, dormi, rêvé, voyagé. Combien, pour dire comment ? Car très vite, ce qui pourrait passer pour gratuit, apparaît comme essentiel : il s’agit bien là d’un déchiffrement de soi, de « Confessions » modern style à la recherche de ce qui ferait l’algorithme d’une vie.
Le monde a perdu en sauvagerie
Cela donne un livre qui se compose de courts textes introduisant chacune des sections de cette « databiographie » qui nous apprend que l’auteur a vécu 385440 heures, fumé 189851 cigarettes, et produit 1 billion de spermatozoïdes alors qu’il n'est père « que » de trois enfants. Avec les dépenses consacrées à sa psychanalyse, il aurait pu s’offrir 10 mètres carrés à Paris, ou 55 mètres carrés à Athènes, et 6 à Shanghai. Un livre, donc, qui nous parle du monde et de l’usage que les hommes en font. Un usage du monde ? En effet, si Charly Delwart a mangé 4.368 poissons, il n’en a pêché que 300. « On pouvait mesurer hyper clairement ce que le monde a perdu en sauvagerie », note t-il. La condition d’écrivain n’est pas épargnée par les chiffres, Delwart révélant combien de fois il a voulu être écrivain (0), le nombre de fois où il a été heureux de l’être (49), et celles où il a regretté de l’être (12). A lire cette « Databiographie », on pense à Sophie Calle ou à Edouard Levé, à Montaigne mais aussi à Google. Si ces données sèches sont irriguées par de courts textes, ceux-ci sont moins présents que ces courbes, ces diagrammes et ces tableaux qui couvrent la page à la manière de constellations. En 2019, les mots se suffiraient-ils plus pour dire une vie ?
Datas et Terre de feu
Chez Olivier Rolin aussi, on sent une inquiétude. Dans « Extérieur monde » il se livre, à sauts et à gambades, à une réflexion sur ce qu’a été sa vie et, lui aussi, son usage du monde comme disait Nicolas Bouvier. Prix Femina en 1994 pour « Port-Soudan », Prix France Culture en 2003 pour « Tigre en papier », Grand Prix de littérature Paul Morand, il ne cherche pas à se retrouver dans les chiffres, mais dans d’autres « datas » : trente ans de carnets de bord remplis de notes et de billets d’avion qu’il ouvre, repartant par la littérature en Terre de feu, près du détroit de Magellan où il voit une baleine, « passant considérable », ou bien aux Açores au sommet du Monte das Moças, sur la piste du fameux anticyclone. Rolin nous convie aussi dans la maison de Céline au Danemark, à Beyrouth, à Magadan, ou aux îles Solovki qu’il nous avait racontées dans « Le Météorologue ». Le voilà enfin dans le jardin du Luxembourg, où l'on attend une jeune femme russe qui le rend fou.
Continuera t-on à lire ?
Le voyage, notons le, se fait autant autour du monde qu’entre les rangées de sa bibliothèque : Proust, Pessoa, Lowry, Michaux, Borges, Flaubert, Céline sont là, tout le temps... En lisant « Extérieur monde », les lecteurs auront souvent l’impression de se tenir un instant par-dessus l’épaule de l’écrivain, alors qu’il s’interroge sur ce livre à faire et qu’il semble d’ailleurs vouloir écrire sous les yeux du lecteur. La voilà, l’inquiétude : « Continuera t-on à lire ? », écrit-il, « Les Livres disparaitront ils avec les baleines ? »
Deux écrivains qui, chacun à leur façon, semblent renoncer à la figure d'un auteur démiurge. Et à l’efficacité banale, peut-être, d'un livre bien fait comme on parle d'une « pièce bien faite ». Deux auteurs qui, affrontant leurs « données », expérimentent aussi de nouvelles formes. Pour redéfinir ce qu’est un écrivain ?
Choix musical d'Olivier Rolin :
Altai Magtaal (Praise of the Altaï Mountains), par le groupe Altaï Khairkhan
Choix musical de Charly Delwart :
Bach par Glenn Gould - The French Suites - Suite N°1 en Ré mineur BWV 812 (titre 3: Sarabande)
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