Cette semaine dans "Le Temps des écrivains", une rencontre entre deux écrivains pour lesquels les personnages de fiction, au mieux de leur forme, semblent plus vivants que nos amis de chair et d’os.
- Alberto Manguel écrivain, directeur artistique du festival Atlantide
- Leïla Slimani Écrivaine
Cette semaine une rencontre au sommet entre Leila Slimani, prix Goncourt 2016 avec « Chanson douce », qui publie « Le Pays des autres », son grand roman marocain, chez Gallimard, et l’écrivain argentino-canadien Alberto Manguel, l’homme qui faisait la lecture à Borges, romancier, traducteur, et même dessinateur comme on le découvre dans son nouveau livre, « monstres fabuleux, Dracula, Alice, Superman et autres amis littéraires », chez Actes Sud
Quand un personnage se met à exister très fort, il perd son auteur. Il va vivre sa vie ailleurs. On aimerait dire au lecteur: "Adopte le, s'il te plaît, je ne peux plus m'en occuper." Leïla Slimani
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Jusqu'au milieu du XX° siècle, le discours littéraire avait une valeur politique . Aujourd'hui c'est le tweet qui remplace le discours rationnel bien ficelé. Il est considéré comme ayant plus de valeur politique car il est ressenti comme quelque chose qui vient des tripes, au regard de quoi la littérature parait plus rationnelle et plus froide. Alberto Manguel
Mathilde, Amine, et « Notre terre »
Sacré défi que se lance Leïla Slimani avec ce nouveau roman, ou plutôt cette première partie d’un nouveau roman qui en comptera trois, « le Pays des autres » étant une trilogie dont le premier volet est sous-titré « La guerre, la guerre, la guerre. » Une grande saga sur le Maroc, où elle est née et a grandi avant de le quitter pour la France, à 18 ans, et qui va lui permettre de brasser les époques, de la plus lointaine à la plus récente. Lointaine comme dans ce premier tome qui commence en 1944 lorsque Mathilde, une jeune femme alsacienne, s’éprend d’Amine Belhaj, marocain combattant dans l’armée française, et qu’elle va suivre, dans son pays, après la Libération. D’abord à Meknès dans la famille d’Amine, puis dans le domaine des Belhaj, « Notre terre » comme l’appelait Kadour, le père d’Amine, traducteur dans l’armée française, mort des séquelles de Verdun, et qui rêvait pour sa descendance une exploitation agricole. Sauf que le domaine en question est une terre rocailleuse où Amine va s’échiner, tandis que ses enfants poussent et que les regards circonspects, voire hostiles, n’en finissent pas de se poser sur ce couple mixte.
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Un monde qui bouillonne
Dans ce Maroc encore sous protectorat français, en effet, en 1946, déjà, les signes avant-coureurs de la lutte pour l’indépendance se font sentir. Et le vent de l’Histoire va souffler fort sur la vie des Belhaj et de tous les personnages qui gravitent autour d’eux, autochtones et colons, adultes - comme l’indépendantiste Omar, le frère d’Amine – et enfants comme Aicha qui adore Jésus... Une famille comme un monde qui bouillonne, où les tensions qui se frottent allument les mèches de la violence, et où rayonne quand même Mathilde, Française et paria, alsacienne comme la grand-mère de Leïla Slimani, qui elle aussi avait rencontré un marocain engagé dans les spahis. Une source familiale à laquelle s’est abreuvée l’écrivain pour écrire ce roman.
Monstres fabuleux
Famille aussi chez Alberto Manguel, mais pas la sienne, quoique ! Une famille de personnages defiction, héros de ses « Monstres fabuleux, Dracula, Alice, Superman, et autres amis littéraires », qui paraît chez Actes Sud. Alberto Manguel est né en 1948 en Argentine, à Buenos Aires. Il est l’auteur de plusieurs romans, comme « Dernières nouvelles d'une terre abandonnée », un traducteur chevronné, mais surtout vous êtes un inlassable et un passionnant explorateur de la façon dont l'histoire du livre et celle de la littérature enrichissent les consciences, depuis son célébrissime « Histoire de la lecture » (Actes Sud, 1996), prix Médicis essai, jusqu’à « La Bibliothèque, la nuit » (Actes Sud, 2006).
Monte-Cristo et les cigares
On lui doit de connaître que si, à Cuba, des cigares portent le nom de Monte-Cristo, c’est parce qu’un « lector » en faisait la lecture à haute voix aux employés des manufactures de tabac, comme lui-même l’a faite à Borges devenu aveugle, quand il avait 16 ans, et lui, l’immense écrivain, 70… On lui doit d’être conforté dans l’idée que chaque livre tiré d’un rayonnage, et feuilleté, est non seulement un objet sensuel, unique, mais la promesse d’un émerveillement. Et c’est cet émerveillement que nous prolongeons quand nous feuilletons son nouveau livre, une suite de chapitres consacrés à un personnage de la littérature, Monsieur Bovary - et non Madame-, Le petit chaperon rouge, Alice au pays des merveilles, Queequeg le harponneur de « Moby Dick » ou Long John Silver, le pirate de « l’Ile au trésor » de Stevenson, et qu’il nous confie comme les fleurs d’un bouquet, et qu’il dessine, même !
Crise de l’imagination
« La biologie nous dit que nous descendons de créatures de chair et de sang mais nous avons la conscience intime d’être les fils et les filles de fantômes d’encre et de papier », écrit-il dans son livre, ajoutant : « Priam m’apprend à pleurer la mort de mes jeunes amis, le petit chaperon rouge et Dante le pélerin me guident à travers les forets obscures sur la route de la vie. » Une vraie connaissance du monde ne doit-elle pas passer aussi par les mots et la fiction ? Pourquoi les personnages de fiction au mieux de leur forme ont-ils l’air plus vivants que nos amis de chair et d’os ? Quels liens entretient un écrivain avec les personnages auxquels il donne vie ?
Et surtout, comme ils le pensent tous les deux, la crise de société actuelle n’est-elle pas aussi une crise de l’imagination ?
Voilà quelques uns des sujets abordés avec Leïla Slimani et Alberto Manguel dans ce « Temps des écrivains ». Parmi beaucoup d’autres…
Le choix musical d'Alberto Manguel : Brahms_,_ "Ein Deutsches requiem"
Le choix musical de Leïla Slimani: Barbara, "La solitude"
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