Leonor de Recondo et Dai Sijie : tombeau au père et au grand-père

Dai Sijie et Leonor de Recondo
Dai Sijie et Leonor de Recondo ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
Dai Sijie et Leonor de Recondo ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
Dai Sijie et Leonor de Recondo ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
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9 mars

Avec

Cette semaine, une émission consacrée à la famille. Ou plutôt, à ceux, qui dans une famille, ont transmis à leurs descendants des choses si nécessaires que, quand on est écrivain, on ne peut qu’avoir envie de leur offrir, en retour, un tombeau de mot pour ne pas qu’ils soient oubliés.

Ce tombeau de mots, nos invités d’aujourd’hui, le romancier chinois Dai Sijie et la française Léonor de Récondo, l’ont offert à leur grand-père et à leur père.

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Initiation sensuelle

Dans « L’Evangile selon Yong Sheng » (Gallimard), Dai Sijie, l’auteur du « Complexe de Di », prix Femina 2003, et de « Balzac et la petite tailleuse chinoise », succès mondial tiré de sa propre rééducation sous la Révolution culturelle, s’inspire de la vie de son grand-père qui fut l’un des premiers pasteurs de Chine. Ce qui n’était pas sans risque, loin de là, sous la chine communiste, et c’est ce que raconte ce roman épique, tragique, souvent bouleversant, qui part de l’enfance d’un petit garçon à qui l’on avait promis un destin extraordinaire et qui va vraiment, avoir un destin extraordinaire en s’identifiant, peu à peu… au Christ ! Et ce, jusqu’au chemin de croix quand, en 1949, est proclamée la République populaire. Dans cette épopée d’un pasteur chinois au temps de Mao, ce qui touche particulièrement c’est la grande sensualité avec laquelle l’auteur raconte l’initiation à Dieu. A travers, précisément, le spectacle, sous les yeux d’un enfant qui observe en cachette, d’une jeune femme tendant son sein gonflé de lait à la bouche d’un christ statufié, le lait coulant sur le bois et produisant un parfum que n’oubliera jamais ce petit garçon. Mais pourquoi avoir attendu tout ce temps pour rendre à ce grand-père cet hommage romanesque ? 

Ernest Hemingway, invité surprise

De Léonor de Récondo, on connaît « Amours », où la romancière, par ailleurs musicienne, nous contait l’histoire d’un amour doublement transgressif, au début du XXe siècle, entre jeune femme de chambre et sa patronne. Puis vint « Point cardinal », lauréat du Prix des Etudiants France Culture Télérama 2017, qui nous plongeait dans la tête et le corps de Laurent, père de famille qui le soir, devenait enfin Mathilda, la femme qu’il se sentait mais qu’il ne pouvait pas être. Elle publie aujourd’hui « Manifesto » (Editions Sabine Wespieser), son livre le plus personnel à ce jour puisqu’elle y évoque la figure de son père, sur le point de rendre son dernier souffle. Léonor est dans une chambre d’hôpital avec sa mère, au chevet de cet homme à l’agonie lorsque, très vite, s’invite dans la narration un invité surprise, Ernesto, alias Ernest Hemingway. Le voici qui dialogue avec le père, sur l’Espagne, leurs amours, la guerre, la photographie, les taureaux, à la musique, comme deux vieux amis qui parlent du bon vieux temps. Felix, le père, était en effet espagnol et ses souvenirs vont s’entrecroiser avec ceux de Léonor, dans un subtil aller et retour entre les époques et les narrations, l’occasion d’évoquer des proches trop tôt partis et la question de l’héritage affectif dont nus nous acquittons comme nous pouvons : « on meurt, c’est tout, et on agrandit l’âme de ceux qui nous aiment », écrit-elle. 

Un évangile pour Dai Sijie, un manifeste pour Léonor de Récondo…

Comment s’y prend la littérature pour redonner une voix et un corps à ceux qui sont partis ? Aurait-elle une fonction sotériologique ? 

Et quelle forme, quelle langue utiliser ? 

Choix musical de Dai Sijie  

J.S BACH:  “La passion selon Saint Matthieu”    (Karl Richter, No78)

Choix musical de Léonor de Récondo   :

Pavane pour une infante défunte de M. Ravel par Khatia Buniatishvili extrait de son album Motherland