LE TEMPS DES ECRIVAINS, émission du samedi 15 juin 2019
- Nicolas Idier Directeur du développement à la Cité internationale de la bande dessinée et de l'image et membre du comité de la collection "Bouquins" (éditions Robert Laffont), Nicolas Idier est agrégé d'histoire et docteur en histoire de l'art.
- Makenzy Orcel Écrivain
- Lieve Joris
Cette semaine dans Le temps des écrivains, on s’arrête pour regarder le monde. Et la place de l’écrivain, dans le monde. Avec nous la grande voyageuse Lieve Joris et le duo Makenzy Orcel et Nicolas Idier.
Le plus fondamental des voyages
L’auteur de « sur les ailes du dragon » publie « Fonny », traduit du néerlandais par marie Hooghe, chez Actes sud. Un livre, où paradoxalement elle ne raconte pas l’un des voyages qui l’ont amenée à sillonner l’Afrique ou l’Asie, à moins que ce ne soit, précisément, le plus fondamental des voyages qu’elle nous narre, vers son enfance et l’origine de son envie de raconter le monde.
« C’est un paysage que j’ai fui, Fonny m’a donné l’exemple, il m’a montré le chemin, mes premiers voyages, c’est pour lui que je les ai faits, pour lui prouver que j’en étais capable. Ça me semble soudain étrange et paradoxal qu’il soit resté accroché là – lui qui autrefois snobait les péquenots du village et ne se gênait pas pour dire de quelqu’un : “Çui-là, y n’avance plus.”
La résurrection par l’écriture d’un ange noir.
« Fonny », c’était en effet le surnom de son frère aîné Alfons, ange noir charismatique et destructeur. Quand le livre commence, on découvre Lieve Joris attelée à un nouveau livre mais dérangée par un coup de fil qui lui apprend que Fonny est à l’hôpital, dans le coma. L’occasion pour l’écrivain d’une visite à cet homme blessé et d’une résurrection par la littérature de leur enfance et de leur adolescence, en terre flamande, au cœur d’une famille de neuf enfants. Une résurrection qui procède par la juxtaposition de scènes toniques, parfois très drôles, mettant en scène les membres de cette famille nombreuse dont le catholicisme s’est dissous dans le rock, la drogue et les rêves de départ. Aujourd’hui que la plupart des membres sont morts, est-ce pour Lieve Joris le livre du retour à Ithaque, c’est-à-dire à la maison ?
Insupportablement sincères
Avec elle, deux hommes pour un seul livre : Makenzy Orcel et Nicolas Idier. L’écrivain haïtien et son collègue français ont écrit ensemble - à quatre mains comme le veut l’expression consacrée, mais plutôt à quatre jambes - un curieux et stimulant livre intitulé « Une boite de nuit à Calcutta » (Robert Laffont) : une confrontation fraternelle, une correspondance entre âmes sœurs entretenue par mail et qui a fini par composer ce livre tout plein de leurs regards croisés sur le monde, regards tantôt affutés, joueurs, tragiques, ou « insupportablement sincères », comme l’écrit Mackenzy Orcel.
Le lecteur dans la plaie
Pourquoi « une boîte de nuit à Calcutta » ? Parce que c’est là où ils se retrouvent, et là où l’amitié leur fait exiger, alors qu’ils ne peuvent pas parler à cause de la musique, d’écrire pour mieux entendre tout ce qu’ils ont à se dire : sur les écrivains qu’ils aiment (très beau portrait par Nicolas Idier d’Arundhati Roy) et aimeraient que leur ami lise à son tour (Pour Makenzy Orcel, le poète et romancier Jean-Claude Charles, créateur du concept de « racinerrance »), sur leurs envies de liberté et leur rôle de père, sur ce qu’est devenu aujourd’hui l’écrivain et le rôle qu’ils continuent, eux, d’attribuer à la littérature :
« Pour ma part, je préfère celui qui plonge le nez de son lecteur dans la plaie à celui qui se donne pour mission de l’éduquer, ou l’amuser », écrit Makenzy Orcel.
« Jour après jour, je me sens plus politique, et j’ai une conception de la littérature qui le devient aussi. J’ai vu trop de misère ces derniers temps pour ne pas ressentir l’insurrection grandir en moi, comme si une petite armée intérieure avait percé le front et pilonné les tranchées de mon cœur », renchérit Nicolas Idier triste de constater que « Les enfants (...) ne sauront bientôt plus ce qu’est un livre, ni la vie privée. »
Peut-on encore vivre « en écrivain » dans un monde qui ressemble à une boîte de nuit même dans la journée ?
Deux livres et trois auteurs que l’on pensait confronter autour de l’idée de voyage, Calcutta, l’Afrique, Haïti… alors que ce qui les rassemble est sans doute la nécessité de s’arrêter pour fixer par les mots ce qui, sinon, menace d’être dissous dans la marche du monde tel qu’aujourd’hui il va.
"Je pense qu'il faut bien se connaître pour voyager, car les autres, pour venir vers vous et vous parler, doivent sentir votre stabilité" Lieve Joris
"Avant d'être un esprit , l'écrivain est un corps. Un corps et des sensations, des odeurs, des goûts, du toucher, de l'amour , de la douleur. Détaché de son corps, l'écrivain n'est plus un écrivain." Nicolas Idier
"Nous les romanciers, il nous est si facile de nous cacher derrière la fiction " Makenzy Orcel
Choix musical de Lieve Joris : Winter lady, Leonard Cohen
Makenzy Orcel - Beethovas Obas, Kite'm ri
Nicolas Idier -Chopin sonate n°3 par Martha Argerich, (enreg 1965)
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