Line Papin et Ryad Girod

Ryad Girod et Line Papin
Ryad Girod et Line Papin ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
Ryad Girod et Line Papin ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
Ryad Girod et Line Papin ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
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18 mai 2019

Avec

Cette semaine, une émission placée sous le signe de l’identité et du récit des origines, avec deux jeunes romanciers que nous tenions à vous faire découvrir : Line Papin, estampillée « nouvelle Sagan » lors de la parution de son premier livre « L’Eveil » il y a trois ans, et qui publie son troisième, « Les Os des filles » chez Stock, et Ryad Girod, publié comme son compatriote Kamel Daoud aux éditions Barzakh, à Alger, et en France, chez POL, où sort son troisième roman « Les Yeux de Mansour ». 

Hanoï et « col roulé »

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Line Papin a 24 ans. « Les Os des filles » nous emmène au Vietnam où la narratrice a grandi jusqu’à ses dix ans, avant d’être transportée par les aléas de la vie en France, où le mal-être la ronge, l’âme comme le corps. Pour tenter d’en finir avec la souffrance, ou peut-être mieux la comprendre, la jeune femme entreprend un voyage vers les terres de son enfance, voyage qui la conduit à remonter le fleuve des origines familiales et à tirer le fil de la lignée de femmes dont elle est issue. Parmi elles, la grand-mère Ba joue un rôle décisif, elle qui a tout connu, tout enduré, de l’avènement du communisme à celui d’Internet. Comment l’exil marque t-il une psychologie ? Qu’est ce que cela signifie, avoir « un pays natal », d’où l’on est mais où l’on ne vit plus ? « Personne ne pouvait comprendre ce que c'était que d'avoir contre sa peau pendant dix ans un pays et une mère, puis de les perdre soudain, sans que rien soit expliqué » écrit la narratrice, écartelée entre le souvenir des rues de Hanoi et la Touraine où les gens sont si froids malgré « leur col roulé »… « Les os des filles » : dès le titre, le roman joue sur l’ambiguïté sonore entre les ossements dont il est question dès les premières pages – restes des aïeux, et évocation de l’anorexie de la narratrice – et les « eaux » d’un fleuve des origines dont il faut remonter le cours et où le corps, véhicule de l’exil et trace vivante des ancêtres, a forcément son mot à dire.

« Coupez-le ! »

Avec elle, Ryad Girod, qui appartient à cette formidable génération d’écrivains algériens où s’illustrent Kamel Daoud, Adlène Meddi, Samir Kacimi, ou encore Samir Toumi. Son troisième roman, « Les Yeux de Mansour », publié chez POL, se déroule à Riyad, en Arabie saoudite. Le narrateur, un syrien, y assiste à la décapitation annoncée, sur la grande place Al Safa, la place « de la pureté », de son ami et collègue Mansour al-Jazaïri. Les téléphones portables sont sortis, les badauds commencent à filmer et hurlent d’une même voix « Gassouh ! Gassouh ! », « Coupez-le ! Coupez-le ! ». Tandis que le condamné à mort s’avance, et que le bourreau prépare sa lame, le narrateur se souvient des événements qui se sont enchaînés pour arriver à ce terrible moment. Ici aussi il est question de généalogie puisque Mansour est l'arrière-arrière petit-fils du célèbre émir Abdelkader, fondateur de l’état moderne algérien, chef de la résistance aux Français, à la fois guerrier et savant musulman mort à Damas en 1883. A quoi Mansour doit sa condamnation? C’est ce que ce roman, à travers une narration progressant par cercles concentriques, poétique et crue, va nous apprendre, tout en revisitant une grande partie de l’histoire intellectuelle et politique arabe pour mieux méditer sur ses paradoxes, dans le soleil aveuglant de ces villes ultramodernes du désert où cette riche histoire a abouti. « Je suis Lui », aurait dit en effet Mansour, comme avant lui un autre Mansour en 922 à Bagdad, le grand mystique soufi Mansour al-Hallaj comme lui condamné à être exécuté en place publique.  « Si tu veux comprendre ce que je dis, prends quatre oiseaux, relâche-les et regarde-les voler ! » disait al-Hallaj. Cette généalogie spirituelle serait-elle donc la clef du destin de ce Mansour d’aujourd’hui, qui n’est pas sans rappeler le prince Mychkine, héros de « l’Idiot » de Dostoïevski ? 

Deux livres dominés par la question de l’identité, définie par une « origine » dont on serait censé « venir ». Dans ce vertige généalogique, quel rôle peut jouer la littérature ?

Voici le choix musical de Line Papin : Sous le ciel de Paris d’Edith Piaf  

Choix musical de Ryad Girod : Salabet Leïla    https://youtu.be/sB4v7aa3xXg

"La construction de mon livre est concentrique. C'est une réflexion qui tourne, comme des électrons autour d'un noyau atomique et qui gagnent à chaque tour un niveau de connaissance. C'est le principe des derviches tourneurs" Ryad Girod

"C'est un récit de retour autobiographique et j'ai donné mon prénom au personnage car c'est moi. Par contre j'ai un regard plus éloigné de petite fille quand je parle de ma mère petite et de mes grand-parents et le récit relève alors plus du conte car on ne peut pas savoir la vérité." Line Papin

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