Marie Darrieussecq et Blandine Rinkel : quand tout vacille

Les deux autrices discutent de leur roman où les personnages doivent faire un choix qui les fera changer, vaciller. Comme une mue dans laquelle on ne retourne pas.
Les deux autrices discutent de leur roman où les personnages doivent faire un choix qui les fera changer, vaciller. Comme une mue dans laquelle on ne retourne pas.  ©Radio France - Christiphe Ono-Dit-Biot
Les deux autrices discutent de leur roman où les personnages doivent faire un choix qui les fera changer, vaciller. Comme une mue dans laquelle on ne retourne pas. ©Radio France - Christiphe Ono-Dit-Biot
Les deux autrices discutent de leur roman où les personnages doivent faire un choix qui les fera changer, vaciller. Comme une mue dans laquelle on ne retourne pas. ©Radio France - Christiphe Ono-Dit-Biot
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Spéciale rentrée littéraire : le nom secret des choses

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Cette semaine, une rencontre placée sous le signe du vacillement. De l’événement qui fait que rien, ensuite, ne sera plus pareil. Avec une nouvelle rencontre, permise par la rentrée littéraire, entre deux romancières qui, précisément, ont choisi de placer ce vacillement au cœur de leur dispositif romanesque Marie Darrieussecq et Blandine Rinkel.

Un sujet casse-figure, le ventre d’une baleine

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Marie Darrieussecq publie « La Mer à l’envers » (POL) un roman qui avait, sur le papier, tout du sujet casse-figure, c’est elle qui le dit. Il traite en effet des migrants, sujet crucial, et elle a eu beaucoup de mal à l’écrire. On y retrouve Rose, personnage secondaire de précédents romans, psychologue de profession, un peu magicienne. 

Dans « La mer à l’envers », elle est en croisière en Méditerranée avec ses deux enfants, pour les vacances de Noël,  un cadeau que lui a offert sa mère.  Elle est contente de partir, Rose, loin de son mari qui boit trop. Mais une nuit, dans ce décor artificiel, elle est réveillée par le réel. Un drôle de bruit, du raffut sur le pont, un bateau contre la coque de leur bateau, dont le capitaine recueille les naufragés, migrants, réfugiés, demandeurs d’asile, comment les nommer, se demande l’héroïne ? Lui en tous cas a un nom : Younès. La forme arabe de Jonas, celui qui a survécu au ventre de la baleine. Un garçon venu du Niger à qui elle va donner le Smartphone de son fils Gabriel, 15 ans, avant de revenir à sa vie normale, un déménagement dans le sud ouest, un cabinet de psy… Mais Younès réapparaît. Il ne va pas bien, il faut aller le chercher, que va t-elle faire ? Que doit elle faire ? L’héroïsme ? Est ce que c’est de l’héroïsme ? Et de l’héroïsme comment ? Absolu, ou « Just for one Day », comme disait David Bowie, que Marie Darrieussecq cite en épigraphe… C’est toutes ces questions là que pose le roman, et auxquelles Rose répond un peu… en vacillant, pour mieux se chercher, se trouver. La mer à l’envers, et pas la mer à boire, pour, peut-être, tenter de la remettre à l’endroit ?

De Saint-Jean-des-Oies au goût des métamorphoses

Blandine Rinkel est née en 1991. Après « L’abandon des prétentions » elle signe son deuxième livre sous son nom, même s’il y en eu un autre, « la nuit est encore jeune », mais signé Catastrophe, du nom du collectif dans lequel elle est chanteuse. « Ce livre prend acte de l’état de dégénérescence du monde et des menaces qui pèsent sur l’avenir pour en faire le ferment d’une liberté nouvelle, plus tragique mais plus forte que jamais. » disait la présentation de « La nuit est est encore jeune ». Une liberté nouvelle, à chercher, peut-être dans le vacillement… « Le nom secret des choses » (Fayard) est un roman à la deuxième personne du singulier comme « La Modification » de Butor l’était à la seconde du pluriel. C’est le récit d’une métamorphose et d’une fascination, celle d’Océane, qui arrive à Paris à dix-huit ans pour ses études, depuis une petite ville qu’elle nomme Saint-Jean-des-Oies. Issue de la classe moyenne, elle cherche à masquer ses origines face à ses camarades issus de la bourgeoisie et dont elle souhaite s’approprier les codes. « Le retard culturel est un ogre, jamais rassasié. (…) Tu n’as pas, et n’auras jamais, le confort des origines. », dit-elle. "Elle se trouve idiote à toujours poser des questions et elle se demande pourquoi eux ne posent pas de questions, pourquoi ils ont l'air de savoir". Au cours de cette année électrique, la jeune fille tombe sous le charme d’Elia, qui lui fait l’effet d’ « un tigre abandonné sur l’autoroute ». Et puis, le mot est prononcé : « Il peut y avoir des relations d'amitié passionnées, éperdues, éprouvantes qui peuvent vous faire vaciller intérieurement jusqu'à vous faire douter de votre propre identité", avance Blandine Rinkel. Elle-même en conflit avec son identité, Elia va donner à Océane "le goût des métamorphoses". C’est sous l’impulsion de cette amitié amoureuse qu’elle change de prénom : Océane, désormais, s'appellera désormais Blandine. Ça vacille, dans ce livre, on est sûr de rien : ce roman d’éducation, d’émancipation, est d’ailleurs dédié « à celles qui disparaissent ». Notamment par leur prénom, gage de libération et de réinvention de soi : le prénom secret des choses ?

Dans le vacillement, la possibilité d’une vérité 

Une rencontre autour de la littérature gage d’un vacillement salutaire. Et même de la possibilité d’une certaine vérité. Ecoutons Huysmans, dans « L’Art moderne » (1883) : « (…) nous assistons aux pantomimes des clowns, enfin à des exercices de patinages piqués vifs, avec leurs envolées, leurs brusques arrêts, leurs chutes; il y a des poses de pieds de patineurs peu habiles, des marches mal équilibrées, des oscillations de têtes, des vacillements de bras d'une vérité extraordinaire ». Et n’est ce pas ce qui est en jeu dans leurs deux livres ? Jouer sur le glissement, identitaire, surtout, pour donner la possibilité à autre chose d’éclore : sur ce qu’on est, sur ce qu’on veut ? 

On y parle aussi d’Ulysse, d’Elpénor, de l’usage du smartphone dans le roman, et de l’importance d’avoir un territoire romanesque à soi… 

Choix musical de Blandine Rinkel : "Odissi" par Chassol remixé par Yuksek

Choix musical de Marie Darrieussecq :  "Le mot juste (le beau geste) "par Bertrand Belin

"Je peux avoir des convictions de citoyenne, mais on n’écrit pas des romans avec des convictions de citoyenne." Marie Darrieussecq

“Souvent j’ai les titres en premier, et je me demande vers quel livre ils m’emmènent. Là ce titre, je ne l’avais pas du tout en premier. Mon premier titre c’était Costa Lampedusa. Parce que j’avais fait une croisière Costa, et j’étais passée au large de Lampedusa il y a plusieurs années, et je me disais 'C’est le même endroit, c’est la même géographie'. J’étais sur cet énorme paquebot, cet espèce de sommet complètement désinhibé du capitalisme le plus triomphant. Et c’était le même espace - Lampedusa - que les gens de ce voyage là. Mais le titre ne marchait pas bien. Et un jour je parlais avec Charles Fréger qui est un grand photographe et aussi un ami. Et il me dit - il était pressé : 'En deux mots ton roman c’est quoi ?'. Et je lui dis 'C’est la mer à l’envers”' Il m’a dit 'C’est le titre'. Comme quoi il faut toujours être accompagné d’artistes quand on écrit. Et après, j’ai beau avoir été psychanalyste, je n’ai pas vu non plus que c’était la 'mère' à l’envers, et que cette mère, sa maternité est très bousculée aussi.” Marie Darrieussecq

“Comment je l’ai écrit ? J’écris chaque jour des fragments, des phrases, des choses qui viennent. Je note, basiquement, mais beaucoup de choses. J’imagine qu’en sortant de cette émission, je noterai deux ou trois détails. Et en fait quand j’ai voulu me remettre à écrire, et être moins volontaire dans mon geste, je me suis dit ‘je vais repartir de ça’, je vais repartir de ce qui avait compté de manière naturelle, spontanée, ce qui avait compté ces dernières années. Donc j’ai repris mes carnets et j’ai essayé de voir ce que j’écrivais, en grande majuscules, ce que je soulignais. Et je me disais “mais c’est ça en fait, ça il faut que j’en parle parce que ça avait tant compté, ça veut en dire plus”. Donc je repars de ça et j’essaye de voir ce que ça veut dire en plus, j’essaye d’étirer les moments. Et puis après évidemment je supprime et tout ça. C’est un jeu de collage lent, de fragments. Mais j’aimerais beaucoup écrire autrement. C’est ce que j’ai essayé de faire !” Blandine Rinkel