Spéciale rentrée littéraire : les romans d'apprentissage

Emmanuelle Bayamack-Tam , Yves Bichet, Maylis de Kerangal
Emmanuelle Bayamack-Tam , Yves Bichet, Maylis de Kerangal ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
Emmanuelle Bayamack-Tam , Yves Bichet, Maylis de Kerangal ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
Emmanuelle Bayamack-Tam , Yves Bichet, Maylis de Kerangal ©Radio France - Christophe Ono Dit Biot
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Pour sa rentrée, Le Temps des écrivains consacre sa première émission à la notion de romans d’apprentissage avec trois voix de la rentrée littéraire, Maylis de Kerangal, Emmanuelle Bayamack-Tam, et Yves Bichet.

Emmanuelle Bayamack-Tam publie en cette rentrée un nouveau roman chez POL, « Arcadie ». On est à Liberty House, un vieux manoir qui servait de pensionnat pour jeune filles mais qui a été métamorphosé par Arcady, sorte de gourou, en phalanstère contemporain d’où la technologie est bannie pour mieux pratiquer l’amour libre dans une nature absolument envoutante. Dans cette société, « un refuge pour freaks » vit une jeune fille, Farah, une adolescente pas vraiment belle, constate t-il, mais qui, plus embarrassant, constate l’apparition chez elle d’attributs réservés normalement aux hommes. C’est son récit d’apprentissage de la vie, et de sa propre identité, vers l’âge adulte, qu’elle nous raconte, dans un généreux roman balisé par trente-six chapitres aux titres évocateurs, « Le Jardin des supplices », « Les escadrons de l’amour », « Viens t’asseoir sur ma bouche », qui vont nous emmener à la rencontre de l’autre, sous la forme d’un réfugié érythréen, mais tout cela traité avec un humour absolument corrosif, une crudité aussi surtout elle évoque le corps, le sexe, mais qui n’est pas sans haute culture aussi puisque elle émaille aussi son texte de citations cryptées tirés de Rilke, de Flaubert ou d’Emilie Dickinson (elle remercie à la fin). Ce titre serait-il un autre clin d’œil littéraire ? Au cliché virgilien d’une terre bucolique ancrée dans un âge d’or ? 

DAVID GUETTA & RIHANNA -  WHO'S THAT CHICK ?

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Maylis de Kerangal publie chez Verticales, après « réparer les vivants », « un monde à portée de main », retenu dans la sélection des 10 romans de France Culture / L’Obs. C’est le récit initiatique d’une jeune femme, Paula Karst qui a décidé de se lancer dans l’apprentissage de la peinture décorative. A prendre au sens premier, puisque cette peinture recouvre les décors, de théâtre ou de cinéma, en imitant à merveille les plus belles matières qui soient, les plus beaux bois, les mille nuances des écailles de tortue ou des marbres rouges de Cerfontaine. Maylis de Kerangal ne nous épargne rien de la difficulté de la tâche, des heures debout, des douleurs à l’épaule, celles du bras qui tient le pinceau, des yeux qui fatiguent dans ce corps à corps épuisant avec la matière pour produire les plus beaux trompe-l’œil. Au rendez-vous, l’épiphanie de l’invention de la grotte de Lascaux, et un apprentissage de la vie par le geste livré à travers l’itinéraire de Paula Karst. Nous mettre un « monde à portée de main », n’est-ce pas pas la promesse de tous les romans ?

Bibo no Aozora / 04, de Ryuichi Sakamoto (album Babel)

Yves Bichet revient en librairie avec « Trois enfants du tumulte » (Mercure de France), sélectionnés lui aussi parmi les 10 romans de la rentrée France Culture / L’Obs. Ceux qui le suivent retrouvent les personnages d’« Indociles », roman antérieur. Celui là se déroule en 1968, mais il est très différent des mille et une publications sur Mai 68 auxquelles nous avons eu droit depuis mai dernier. D’abord, il se passe à Lyon et pas à Paris, Lyon qui a été le théâtre du premier mort de Mai 68, le commissaire Lacroix, dans la nuit du 24 au 25 mai. Les premières pages de son roman sont d’ailleurs consacrées à la charge du camion auquel on imputa le décès du fonctionnaire. Ensuite, il s’intéresse à la queue de comète des événements, c’est à dire son versant le plus obscur, le plus radical. Qui sont ces « enfants du tumulte » ? Théo, l'insoumis, qui dans « Indociles » refusait le service militaire après la mort de son meilleur ami Antoine, retrouve Mila, foudroyée par un éclair pendant son enfance, et toujours aussi rebelle que dans « Indociles ». La troisième ?  Delphine, une étudiante qui adore se baigner dans une baignoire transparente, comme le sont peut-être les intentions d’Yves Bichet : offrir à Mai 68 ses « Illusions perdues » ? 

The sound of silence. Simon and Garfunkel