

Le 25 juillet, les tunisiens ont adopté à 92% le projet réforme constitutionnel mené par Kaïs Saïed. Malgré un taux de participation historiquement bas, la société tunisienne a plébiscité un retour à l'autoritarisme. Que reste-il des aspirations démocratiques en Tunisie ?
- Nadia Chaabane Ancienne députée à l'Assemblée constituante tunisienne (2011-2014). Membre du Collectif national pour le droit des femmes.
- Hèla Yousfi Maître de conférences en sociologie des organisations à l'Université Paris Dauphine, vice-présidente du Cercle des Economistes Arabes.
- Sophie Bessis Historienne, spécialiste de l'Afrique subsaharienne et du Maghreb
Huit ans après l’adoption d’une Constitution défendant les valeurs de la démocratie, le référendum tunisien mené par Kaïs Saïed marque un retour historique à l’autoritarisme. La population, victime d’une crise économique inégalée et dégoûtée des élites politiques corrompues, semble préférer la rigidité idéologique de Saïed et sa promesse de stabilité économique à la démocratie. Comment expliquer qu’un peuple, luttant une décennie plus tôt pour la démocratie, ait perdu sa soif de liberté ?
Pour évoquer ces questions, François Saltiel reçoit Sophie Bessis, Historienne, spécialiste de l'Afrique subsaharienne et du Maghreb, Hèla Yousfi, maîtresse de conférences en management et organisation à l'Université Paris Dauphine et vice-présidente du Cercle des Economistes Arabes ainsi que Nadia Chabanne, femme politique tunisienne et ancienne députée de l’assemblée constituante de Tunisie (entre 2011-2014).
Sophie Bessis souligne qu'il "est nécessaire de se focaliser sur le chiffre de l’abstention plutôt que sur le taux de « oui » concernant le referendum. Il n’y a eu que 27% de participation, c’est le taux de scrutin le plus bas depuis 2011. Si on enlève les quelques huit pourcents de « non », on observe que seuls 1,9 million de tunisiens sur 9 ont approuvé le projet de Constitution. Kaïs Saïed a gagné car il n’a pas instauré de seuil de participation, comme de nombreux pays quand il s’agit de referendum."
Nadia Chabanne décrypte les stratégies politiques de Kaïs Saïed : "il est dans l’anti-partisme, comme tous les présidents populistes. Son objectif est de mettre en difficulté les partis politiques dans les prochaines élections. Il va tout faire pour que ce soit des individus qui se présentent aux élections." Sophie Bessis ajoute : "Avec cette réforme constitutionnelle, Kaïs Saïed a organisé une sortie constitutionnelle de l’Etat de droit. Le cheminement vers la démocratie en Tunisie était compliqué et laborieux mais aujourd’hui on s'éloigne des valeurs fondamentales qui constituent la Tunisie depuis son indépendance. Dans cette Constitution, le problème est l’hyper-présidentialisation du pouvoir et l’absence de garde-fous à l’absolutisme du pouvoir présidentiel. Concrètement, Kaïs Saïed n’est responsable devant personne."
La nouvelle Constitution compromet également les libertés des femmes. Pour Nadia Chabanne, "la question de la charia que nous avons combattue est remise à l’ordre du jour. L’adoption de l’article 5 peut ouvrir la voie à des dérapages : retour de la police de la moralité, interdiction du travail des femmes la nuit, remise en cause de l’avortement, empêchement de l’égalité successorale etc. C’est un article qui inquiète beaucoup les femmes."
Enfin, Hèla Yousfi évoque les recommandations des bailleurs de fonds dans le redressement économique du pays : "En 2011, la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International ont fait leur mea culpa pour dire qu’ils n’avaient pas vu les dysfonctionnements de l’économie tunisienne. Aujourd’hui, le processus révolutionnaire est mis à mal par les bailleurs de fonds qui ont accentué la crise économique (par exemple avec la dévaluation du dinar). On a besoin d’une refonte totale du modèle tunisien or le FMI propose une politique d’austérité dans une période de récession, ce qui ne va pas améliorer les choses."
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