Sexisme, racisme... La " cancel culture ", sorte de boycott organisé sur internet, guette aujourd'hui le moindre faux pas des personnalités publiques. Si certains la voient comme une nouvelle censure, d'autres prônent une nouvelle façon de militer. Au risque de radicaliser et polariser le débat ?
- Manon Garcia Philosophe, Junior Fellow à la Society of Fellows de l’Université de Harvard
- Thomas Chatterton Williams Ecrivain, critique.
En français, l’expression "cancel culture" a été traduite par culture du boycott, de l’humiliation publique ou de l’annulation. Elle se caractérise par des actions militantes qui, aux États-Unis, visent à discréditer une personnalité publique pour ses prises de position. Aujourd'hui, cette "cancel culture" est toutefois remise en cause par un texte publié le 7 juillet dans le Harper’s Magazine et le 8 juillet dans Le Monde.
Signée par 150 personnalités, dont Margaret Atwood, Salman Rushdie, Gloria Steinem ou Wynton Marsalis, la tribune émet la crainte que la censure, qu’on s’attendrait plutôt à voir surgir du côté de la droite radicale, se répande aussi dans les milieux progressistes. Les signataires rejettent ainsi le faux choix entre justice et liberté qu’offrirait la "cancel culture".
Depuis la publication de ce texte, il y a moins de dix jours, le débat est vif aux États-Unis, en particulier dans les milieux de gauche déjà divisés face à Donald Trump, si prompt lui-même à condamner les manifestations actuelles pour l’égalité en les qualifiant de "fascisme d’extrême-gauche".
Pour en débattre, nous recevons Thomas Chatterton-Williams, auteur et critique américain, signataire de la tribune du Harper's Magazine, et Manon Garcia, philosophe féministe française.
Une nouvelle censure ?
Il y a une espèce de panique morale qui empêche les gens de réfléchir de manière objective et censée. C’est important de parler de certains sujets, mais ce faisant, il faut veiller à ce que la "sur-correction" ne nuise pas à nos libertés fondamentales.
Thomas Chatterton-Williams
Personne ne peut être en désaccord avec la position normative de la lettre, qui relève de la platitude : oui il faut se battre pour la justice tout en préservant la liberté. Mais cet appel à la politesse est problématique, car les réseaux sociaux permettent aussi de donner une voix aux gens qui sont marginalisés par les institutions, contrairement aux signataires de la lettre, qui eux ont beaucoup de pouvoir.
Manon Garcia
Une culture qui arrive en France ?
Dans le débat public en France, il y a des propos racistes, sexistes et homophobes qui sont régulièrement tenus sans que cela mette en danger la carrière de qui que ce soit. Mais je pense qu’il y a tout de même des choses qu’on ne peut plus dire, et d’une certaine manière, tant mieux, on progresse.
Manon Garcia
La liberté de parole est bien plus grande en France à l’heure actuelle, et c’est une société très différente, ce serait contre l’idéal républicain. Mais les Français doivent suivre de près ce qui se passe aux États-Unis, car le mouvement commence à s'exporter.
Thomas Chatterton-Williams
Pour aller plus loin :
La « cancel culture » est-elle une nouvelle censure ?, par Simon Blin, Libération, 12.07.2020.
Les nécessaires nuances de la « cancellation », par Natalia Wysocka, Le Devoir, le 11.07.2020.
Sur les campus américains, la nouvelle guerre du « free speech », par Laure Andrillon, Libération, 18.08.2018.
Cancel culture' doesn't stifle debate, but it does challenge the old order, par Billy Bragg, The Guardian, 10.07.2020.
Calling out for justice, par Oscar Schwartz, The Ethics Centre, 19.07.2018.
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