L’afflux massif de réfugiés aux portes de la Grèce marque un coup d'arrêt de l’accord signé en 2016 entre la Turquie et l’Union Européenne et le début du chantage migratoire. L’Union Européenne se retrouve dos au mur et face à ses responsabilités : serait-elle prise au piège de sa propre peur ?
- Dzovinar Kévonian Enseignante-chercheuse à l'Institut des Sciences sociales du politique à l'Université Paris Nanterre
- Yves Bertoncini Président du Mouvement Européen – France.
- Jean Ziegler Vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (ONU)
Depuis les accords entre l’Union Européenne et la Turquie en 2016, les gouvernements et opinions publiques européens se sont assez peu préoccupés du sort de millions de réfugiés qui se pressaient aux portes de l’Union, entre Turquie, Grèce et Bulgarie.
Certes, le camp de Moria à Lesbos était célèbre pour accueillir bien plus de réfugiés qu’il ne pouvait contenir, mais il a fallu la guerre entre Turquie et Syrie à Idleb et le discours du président turc Erdogan pour remettre la question des réfugiés afghans, soudanais, syriens et irakiens à la une de nos journaux.
Près de 21 000 réfugiés vivent dans des conditions hygiéniques abominables, avec une nourriture insuffisante et souvent immangeable, derrière des barbelés. Il y a près de 3000 enfants non accompagnés, ainsi que des suicides d'enfants de désespoir et des automutilations. Jean Ziegler
Yves Bertoncini reconnait que "si on se situe sur un plan moral, nul doute que ce qui se passe n'est pas glorieux pour les européens, de même qu'il n'est pas glorieux qu'on atteigne ces jours-ci les 20 000 morts dans la Méditerranéenne depuis 2014. Ce n'est pas glorieux parce que les européens ont une tradition d’accueil, et c'est d'ailleurs un peu dans leur intérêt d’accueillir des demandeurs d'asile compte tenu du déclin démographique. Mais ceci étant, sur le plan politique, il faut bien constater qu'il y a eu des divisions profondes en Europe. Si Angela Merkel et d'autres pays se sont montrés ouverts, d'autres pays ont été extrêmement fermés parce qu'ils ont considéré les demandeurs d'asile non pas comme des victimes mais comme des menaces dont il faudrait se prémunir".
Les populations sont instrumentalisées dans des jeux diplomatiques. Nous ne sommes pas dans une crise du refuge mais dans une vraie crise diplomatique et une crise structurelle de l’accueil. Dzovinar Kévonian
Le dissensus sur la répartition solidaire des réfugiés en Europe
La politique européenne est de la realpolitik. On peut dire que l'accord UE-Turquie, d'un point de vue moral, est dégueulasse mais il a été très efficace. La preuve, c'est que c'est seulement maintenant, parce que Monsieur Erdogan y a intérêt, d'un point de vue géopolitique et de politique intérieure, qu'il met en cause cet accord et qu'on s'alarme. Yves Bertoncini
D'après Jean Ziegler, "ces têtes de mule de Bruxelles procède à la liquidation des droits de l'homme fondamentaux, c'est à dire le droit d'asile. Le droit d'asile est une conquête de civilisation. Elle dit que si vous êtes bombardés, torturés, persécutés dans votre pays, vous avez le droit de traverser une frontière et de déposer une demande d'asile de protection dans un pays hôte. C'est l'article 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui fixe ce droit".
Pour Yves Bertoncini, "il y a un problème européen, et c'est en cela que les européens tombent dans leur propre piège: il n'y a pas de consensus sur l’accueil et la répartition solidaire. Certes la solidarité financière existe, mais pas la répartition solidaire. Erdogan voit cela, c'est un levier politique qu'on lui offre. Les têtes de mule ne sont pas à Bruxelles, j'en suis désolé ou alors c'est quand les ministres de l'Intérieur s'y réunissent et les chefs d'Etat et de gouvernement. Beaucoup d'Etats membres à Budapest, à Varsovie n'ont pas voulu du tout de l’accueil des réfugiés qu'ils voient comme des menaces et non comme des victimes. Le consensus européen s'est effondré sur ce sujet là".
Le problème c'est le plan de relocalisation de 2016. L'union européenne a négocié, dans la difficulté et de façon multilatérale, un plan de relocalisation parmi les 27 Etats membres. Chaque Etat devait accueillir un contingent de réfugiés selon le critère du produit intérieur bruit et de la force démographique. Or, les pays d'Europe orientale ont refusé net de recevoir des réfugiés. Le premier ministre polonais a dit "Nous n'acceptions pas de réfugiés parce que nous devons garder la pureté ethnique de la Pologne", ce qui est un vocabulaire nazi. L'union européenne n'a pas sanctionné ces huit Etats membres qui refusent des réfugiés, alors qu'elle pourrait suspendre demain matin les versements de commission régionale à ces pays qui sont des pays mendiants, qui vivent des subventions de Bruxelles. Jean Ziegler
Dzovinar Kevonian précise qu'"il y avait dans les années 1930 un ballast qui faisait tenir ensemble des dispositions et des principes qui, en réalité, étaient peu compatibles. La différence aujourd'hui, c'est la dislocation des principes et le fait que ces principes, qui étaient défendus par les uns et par les autres, sont repris par les régimes d'oppression, notamment quand on entend aujourd'hui Monsieur Erdogan donner des leçons de solidarité".
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