Climat : la lutte contre le méthane doit-elle être notre priorité ?

Des montbéliardes dans le Jura – 65% des émissions de méthane françaises sont dues à l’agriculture
Des montbéliardes dans le Jura – 65% des émissions de méthane françaises sont dues à l’agriculture ©Maxppp - PHILIPPE TRIAS / LE PROGRES
Des montbéliardes dans le Jura – 65% des émissions de méthane françaises sont dues à l’agriculture ©Maxppp - PHILIPPE TRIAS / LE PROGRES
Des montbéliardes dans le Jura – 65% des émissions de méthane françaises sont dues à l’agriculture ©Maxppp - PHILIPPE TRIAS / LE PROGRES
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Le 23 mai, la Cour des comptes a préconisé une réduction du nombre de vaches en France, l’élevage générant de grandes quantités de méthane, comme l’industrie énergétique. S’il se dissipe vite dans l’atmosphère, ce gaz a un pouvoir de réchauffement cent fois supérieur au CO2 : une lutte prioritaire ?

Avec
  • Bruno Dufayet Éleveur de vaches Salers dans le Cantal
  • Rémi Prudhomme Économiste et modélisateur au département Environnements et sociétés du CIRAD
  • Sophie Szopa Directrice de recherche au CEA, chimiste de l'atmosphère

La lutte contre le dioxyde de carbone a longtemps été prioritaire dans le combat contre le réchauffement climatique. Mais depuis quelques années et la signature lors de la COP 26 à Glasgow en 2021 d’un accord international sur la réduction de la production de méthane d’ici 2030, les compteurs s’affolent. Certes, ce gaz se dissipe dix fois plus vite dans l’atmosphère que le CO2 mais son pouvoir de réchauffement est bien plus puissant.

Le récent rapport de la Cour des Comptes sur les soutiens publics aux éleveurs de bovins a lancé une polémique en annonçant , entre autres mesures, la nécessité de réduire le cheptel bovin français pour tenir les objectifs du traité sur le méthane. Comme au Pays-Bas qui a décidé il y a quelques temps de cette même réduction du cheptel, les éleveurs français ont protesté à la mort de leur métier.

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Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Bruno Dufayet, éleveur de vaches Salers dans le Cantal ; Rémi Prudhomme, économiste et modélisateur au département Environnements et sociétés du CIRAD ; Sophie Szopa, chimiste de l'atmosphère au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement à l’Université Paris-Saclay et experte auprès du GIEC.

« Si on arrivait à fortement diminuer les émissions de méthane, cela pourrait faire changer la température de quelques dixièmes de degré : ça parait faible, mais chaque dixième de plus ajoute aux effets climatiques »

« Le méthane a des origines naturelles, mais 60% des émissions sont liées à nos activités humaines » précise Sophie Szopa, dans l’agriculture, les énergies fossiles ou le traitement des déchets. « Il apparaît déjà dans les protocoles mondiaux sur le climat » ajoute-t-elle, « on s’y intéresse de plus en plus parce qu’il peut avoir des effets à court-terme ». Pour elle, lutter contre les émissions de méthane impose de prendre en compte les aspects sociaux, économiques, culturels, patrimoniaux et environnementaux de l’élevage, et donc d’accompagner les éleveurs : « il ne faut pas oublier les services rendus par l’existence des prairies [qui stockent le carbone] […] et il faut discuter, plus largement que de la réduction du cheptel, des additifs qu’on donne aux bêtes, du traitement des fumiers, et de tous les moyens qui permettent de réduire les émissions »

« On ne peut pas annoncer aller dans du vertueux sur la production et s’exonérer de tous ses principes avec une politique commercial basée sur tous ces imports »

« Il y a des choses intéressantes dans ce rapport » estime Bruno Dufayet, « mais beaucoup de choses incomplètes, avec une conclusion et des recommandations surprenantes ». Pour lui, cette proposition de réduction du cheptel est simpliste : « on a déjà perdu un million de vaches sur les six dernières années et la consommation n’a pas baissé […] la réflexion doit venir sur la consommation de viande ». La ferme de demain doit prendre en compte ces enjeux environnementaux, « on doit garder des fermes à taille humaine, avec une importante part d’herbe dans l’alimentation animale » permettant de déméthaniser les élevages : « je compense sur ma ferme rien qu’avec la prairie 50% de mes émissions. Ce n’est pas tout, mais je ne connais pas d’autre secteur qui fait ça ».

« Soit on dit que les autres pays doivent faire un effort supplémentaire pour nous et la France prend une plus grande responsabilité ailleurs, comme sur le CO2, soit on réduit le cheptel »

« La France a pris trois engagements » explique Rémi Prudhomme, « le methane pledge de Glasgow en 2021 où l’Europe s’engage à réduire de 30% ses émissions ; une feuille de route du ministère de la transition écologique avec 15% d’objectif de réduction ; et une autre feuille de route du ministère de l’agriculture qui chiffre entre 5 et 10% de réductions : la France essaie d’être volontariste, mais c’est un sujet sensible au niveau du secteur agricole ». Cette proposition de diminution du cheptel est une question importante selon lui, à évaluer selon les territoires : à éviter « dans les zones où quand l’élevage disparaît, le désert prend la place », intéressante en Irlande « où la réhabilitation des zones humides permet de stocker encore plus de carbone ».

À réécouter : Méthane, oh la vache !
La Méthode scientifique
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