A l’heure du renforcement d’une politique d’urgence sanitaire, les mesures contraignantes prises par les autorités publiques interrogent la capacité de ces dernières à arbitrer entre liberté et sécurité. Comment assurer les libertés fondamentales tout en protégeant la sécurité des populations ?
- William Dab professeur titulaire de la chaire d'Hygiène et Sécurité du Cnam et responsable des enseignements de sécurité sanitaire au Cnam, ancien directeur de la santé
- Antoine Flahault Professeur et directeur de l’Institut de santé globale de Genève
- Olga Mamoudy professeure de droit public à Université Polytechnique Hauts de France (UPHF)
- Guillaume Le Blanc Philosophe
Comme lors des précédentes épidémies, les gouvernements et institutions internationales tentent de ménager les libertés publiques tout en maîtrisant l’ampleur de l’épidémie en cours.
Comment restreindre les conditions de circulation et de déplacement des citoyens, interdire la tenue de grandes manifestations publiques, obliger celles et ceux qui travaillent à rester chez eux, fermer les écoles et les universités, sans pour autant porter atteinte aux droits fondamentaux ?
Depuis deux mois maintenant chaque pays, en fonction de ses traditions propres, improvise des réponses à ses questions essentielles tandis que, comme le dit la philosophe Corine Pelluchon, "ce virus nous rappelle que la santé est la condition première de la liberté".
William Dab définit la sécurité sanitaire comme "l'idée qu'il y a des risques pour la santé dont on ne peut pas se protéger tout seul et qui demande un effort organisé de la société. Historiquement, le tournant c'est au XVe siècle avec la quarantaine de Venise. C'est une des premières fois en Europe que l'on reconnait qu'il faut contraindre la liberté individuelle pour protéger le groupe, et on fonde ainsi la notion de police sanitaire."
En ce qui concerne la décision du président des Etats-Unis, il commet une erreur gravissime parce que, en faisant cela, il dissuade les Américains de respecter les mesures barrières de base en disant : "le virus n'a plus le droit d'entrer sur le territoire, je n'ai plus de problème". Je pense que les Américains vont payer très cher cette erreur. William Dab
D'après Antoine Flahault, "les gouvernants sont très démunis aujourd'hui parce qu'on souffre d'une absence de recommandations internationales qui pourraient être édictées par l'Organisation Mondiale de la Santé. [...] Moi je n'ai pas de critique sur l'idée de la restriction des mouvements mais simplement, personne n'a jamais dit à aucun des gouvernants : "Voilà nos recommandations", alors qu'il y a une urgence de santé publique de portée internationale."
Guillaume Le Blanc parle lui d'une "renationalisation des virus" : "On a l'impression qu'il faut absolument nationaliser le virus pour lui donner une source nationale contre laquelle ensuite lutter dans un discours d'invasion. [...] Le discours qui se met en place est un discours de guerre contre le virus, et qui devient un discours de guerre national avec une absence totale de réponse à un niveau international voire européen. [...] Ce qui me frappe aujourd'hui c'est qu'on est dans une espèce de panique d'Etat."
D'après Olga Mamoudy, "le recours à l'état d'urgence n'est d'aucune utilité puisqu'on a toutes les mesures dans le droit commun, en particulier dans le Code de la santé publique pour faire face à cette menace sanitaire grave."
On nous a fait croire qu'on sortait des régimes d'exception or les régimes d'exception ont été transcrit dans le droit commun. Donc, il y a une forme d'accoutumance aux restrictions des libertés. Olga Mamoudy
A propos de la question de la légitimité des restrictions des libertés, Guillaume Le Blanc évoque un tribune récemment parue de Giorgio Agamben dans laquelle ce dénonce un "état d'exception". Guillaume Le Blanc note que, pour Gorgio Agamben, "après les mesures d'état d'urgence et d'exception liées au terrorisme, là on trouverait, avec le coronavirus, un deuxième élan pour restreindre à nouveau un certain nombre de libertés. [...] On constate une fois de plus une tendance croissante à utiliser l'état d'exception comme paradigme normal du gouvernement."
La biopolitique c'est le moment dans lequel un certain nombre de traits biologiques qui affectent une population deviennent les éléments sur lesquels la politique va devoir agir. Je crois qu'on est exactement dans ce moment biopolitique. Le paradoxe, c'est qu'on est en train de réintroduire les bonnes vieilles tactiques de contrôle d'exclusion, de discipline, de mise en quarantaine. Effectivement, ce mouvement disciplinaire pour répondre à cette question laisse de coté la problématique des libertés. Guillaume Le Blanc
Pour William Dab, "les épidémies sont des crash tests des valeurs de notre société et des valeurs qu'on accorde à la santé." Il se définit comme "un avocat de la santé publique, mais ne pense pas que tout est légitime au nom de la santé publique. Il y a d'autres intérêts qui peuvent heurter, y'a les intérêts juridiques, les intérêts économiques qu'il ne faut pas opposer d'ailleurs aux intérêts de santé publique. Chaque société a une sorte de centre de gravité a trouver dans cet équilibre entre liberté et sécurité." Il ne se considère pas "favorable" aux restrictions des libertés mais lance un appel à la "responsabilité individuelle, il y a un équilibre à trouver."
Le problème que nous avons en France, c'est que dans le passé récent, nous avons eu de très nombreuses affaires -comme l'amiante, le médiator, la médiation transfusionnelle du sida- où à l'évidence, les intérêts de santé publique ont été négligé. C'est autant de défaites de santé publique. William Dab
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