Du masque à la reconnaissance faciale : le visage est-il le dernier lieu de résistance politique ?

Le masque du personnage du Joker est devenu un symbole, et un moyen de cacher son visage, pour les manifestants du monde entier. Ici, lors d'un rassemblement des Gilets Jaunes (Paris, le 15/12/18)
Le masque du personnage du Joker est devenu un symbole, et un moyen de cacher son visage, pour les manifestants du monde entier. Ici, lors d'un rassemblement des Gilets Jaunes (Paris, le 15/12/18) ©Maxppp - CLEMENT MAHOUDEAU
Le masque du personnage du Joker est devenu un symbole, et un moyen de cacher son visage, pour les manifestants du monde entier. Ici, lors d'un rassemblement des Gilets Jaunes (Paris, le 15/12/18) ©Maxppp - CLEMENT MAHOUDEAU
Le masque du personnage du Joker est devenu un symbole, et un moyen de cacher son visage, pour les manifestants du monde entier. Ici, lors d'un rassemblement des Gilets Jaunes (Paris, le 15/12/18) ©Maxppp - CLEMENT MAHOUDEAU
Publicité

Alors que la figure du Joker a été reprise par des manifestants du monde entier, les discussions sur la mise en place de la reconnaissance faciale questionnent les libertés publiques.Le visage, moyen d’expression des colères sociales, désormais utilisé à des fins politiques ? Une zone à défendre ?

Avec
  • François-David Sebbah philosophe, professeur de philosophie à l’Université Paris Nanterre, membre associé des Archives Husserl et du laboratoire « Connaissance organisation et systèmes techniques » de l’Université de technologie de Compiègne
  • Félix Tréguer Sociologue, membre de la Quadrature du Net, auteur de L'utopie déchue, une contre-histoire d'internet (Fayard, 2019) ;
  • Pierre Piazza Docteur en science politique et chargé de recherche à l'Institut des hautes études de la sécurité intérieure.
  • Jacques Barthélémy Conseiller d'Etat et ancien préfet

Des manifestants de Hong Kong aux spectateurs du film Joker qui met en scène une révolte urbaine menée par un clown grimaçant, le visage semble être devenu un enjeu d’identification et de reconnaissance. Les états comme les grandes sociétés qui collectent des données informatiques sont intéressés en effet à cette reconnaissance faciale que refuse une partie des citoyens, pour qui se couvrir le visage grâce au maquillage, ou cagoule ou masque est une façon de préserver ses libertés. Le visage est-il le dernier lieu de résistance politique ?

Pour aller plus loin :

Sur la reconnaissance faciale :

Publicité

Sur le masque :

Analyses :

Sur nos invités :

Jacques Barthélémy, ancien conseiller d'Etat, ancien élève de l'ENA, il a travaillé comme sous-préfet, puis comme préfet pendant vingt et un ans (à sept postes différents), auteur de La Comédie du Pouvoir. Mémoires et souvenirs d'un Préfet de la République (éditions du Sekoya, 2017).

Les usages récréatifs de la reconnaissance faciale servent ensuite à légitimer l’usage par les autorités publiques, par la police notamment, de ces mêmes technologies. La reconnaissance faciale, c’est un type de technologie, fondée sur des algorithmes d’analyse automatisée des flux de vidéos surveillances. Mais c’est plus que ça, c’est une technologie qui fait idéologie, qui pose l’idée que le contrôle est plus important que la liberté, que la vie privée

Ce que je redoute le plus, ce n’est pas un Etat démocratique comme la France, qui va trouver les moyens de contrôler cette technologie, mais c’est plutôt Facebook, Google… Ce sont ces grands gafas qu’il faudrait essayer de contrôler, car ils sont en réalité plus puissants que certains Etats et que ce sont eux qui développent ces technologies.

Il faut tenir un débat citoyen sur ce sujet qui est difficile, parce que l’Etat doit se protéger de lui-même, quand on est dans une démocratie. Pour les manifestations, il y a un vieux principe de la jurisprudence du Conseil d’Etat de 1917: « Toute controverse de droit public doit partir de ce point de vue que la liberté est la règle, et la restriction de police l’exception ». 

Pierre Piazza, maître de  conférences en Science politique à l’université de Cergy-Pontoise (CESDIP/LEJEP/CLAMOR). Il est l’auteur de nombreux ouvrages et  articles scientifiques consacrés aux documents d’identité, aux fichiers de police, à la biométrie, à la police.  Il commissaire de l’exposition aux archives nationales « La science à la poursuite du crime. Alphonse Bertillon, pionniers des experts policiers ». du 14 septembre 2019 au 18  janvier 2020 Sur le site de Pierrefitte-sur-Seine

La grande idée de Bertillon, c’est de raccrocher l’identité au corps de l’individu. Très tôt, avant les caméras, le visage est transformé en outil de surveillance dans l’espace public.

A quoi sert la reconnaissance faciale ? On veut tout faire avec ça : identifier l’accès au lycée, lutter contre la criminalité, lutter contre le terrorisme mais est-ce que ce système-là marche pour tout ? Je pense que ça alimente surtout une filière industrielle, et qu’il y a des enjeux économiques derrière tout ça. On ne pointe pas assez les risques, qui sont très nombreux : atteinte aux libertés, à la vie privée, au droit d’innocence, au droit à l’image etc

Félix Tréguer, chercheur associé au Centre Internet et Société du CNRS, post-doctorant au Centre de recherches internationales (CERI Sciences Po), et membre fondateur de l’association La Quadrature du Net. : Il est l'auteur de L'Utopie déchue : une contre-histoire d'Internet (XV-XXIè siècles) (Fayard, 2019).

A terme, c’est la possibilité de contrôle d’identité invisible et permanent. A partir du moment où le visage devient un élément d’identification, de surveillance, il devient un instrument de contrôle social. 

On prétend organiser un débat citoyen alors que cela fait de nombreuses années que ces technologies font l’objet de nombreux financements publics dans le cadre de projets de recherches français et européens, qu’elles sont développées par des consortiums d’industriels d’organismes de recherches publiques. Aujourd’hui, elles sont déployées sur le territoire français, en dépit d’une absence totale de cadre juridique qui rend ces expérimentations illégales. 

François-David Sebbah, philosophe, professeur de philosophie à l’Université Paris Nanterre, membre associé des Archives Husserl et du laboratoire « Connaissance organisation et systèmes techniques » de l’Université de technologie de Compiègne

Cet anonymat est à la fois un anonymat d’une force collective qui passe les individus, et la possibilité de prendre du retrait, de ne pas être mis à disposition de la puissance du pouvoir

La Théorie
2 min
Hashtag
4 min

L'équipe