Épisode 36 : "Gouvernement"

Après avoir fait dialoguer deux anciens Premiers ministres vendredi dernier, Jean-Pierre Raffarin et Jean-Marc Ayrault, sur la relation qu’ils avaient entretenu avec les Présidents de la République qui les avaient nommés mais aussi sur leur marge de manœuvre, les termes du débat s’intéressent aujourd’hui au mot "Gouvernement". 
Qu’attend-on d’un gouvernement ? N’est-il là que pour appliquer le programme présidentiel ? Quelle est sa marge de manœuvre ? Comment la culture du résultat  s’est-elle imposée, dans les paroles sinon dans les actes, depuis une quinzaine d’années pour juger les ministres ?  Ce sont quelques-unes des questions que nous poserons à nos deux invités en partenariat avec le journal La Croix.

Pour ce débat en partenariat avec La Croix, Emmanuel Laurentin et Béatrice Bouniol reçoivent Luc Foisneau, philosophe politique, directeur de recherche au CNRS rattaché au CESPRA (CNRS/EHESS) et Brigitte Gaïti, professeure de science politique à Paris 1.

Luc Foisneau revient sur la manière dont de grands auteurs conçoivent la notion de Gouvernement, et la nécessaire mise en oeuvre des demandes émanant de la volonté générale par le Gouvernement : "Agir, pour le Gouvernement, c'est mettre en forme, exécuter, mettre en musique les grandes orientations définies par le Président de la République. On peut s'interroger sur l'autonomie d'action du Premier ministre et du Gouvernement, et de l'autonomie relative des ministres. (...) Pour Machiavel, faire de la politique c'est non pas mettre en œuvre un programme, mais faire en sorte de rester au pouvoir. (...) Limiter dans sa sphère d’action à la mise en œuvre de la volonté générale est l’essence même du Gouvernement idéal pour Rousseau. Une meilleure articulation entre l’expression de la volonté générale par l’Assemblée nationale et la mise en œuvre de cette politique par le Gouvernement peut être considérée comme quelque chose de souhaitable. (...) Il y a une défiance à l’égard de l’appareil d’Etat. (...) Certains Ministères sont là pour donner l’impression qu’on va répondre aux demandes du monde social, par exemple dans le domaine écologique. La réalité de l’application d’une politique écologique, on ne la voit pas nécessairement."

Brigitte Gaïti met en lumière les différents rôles du Gouvernement et souligne la présidentialisation qui caractérise l'actuelle Ve République : "On attend d'un Gouvernement qu'il exprime une tendance politique, la diversité, la parité. On attend aussi qu'il agisse, qu'il mette en place des réformes. (...) En France, la question du Gouvernement est perturbée par la présence du Président de la République qui est un personnage qui gouverne. (...) La force de frappe de Matignon c'est l'Administration, mais cette puissance de frappe est de plus en plus contestée. (...) Il y a un impératif, qui est celui de réduire les dépenses. La première domestication est cette domestication budgétaire. (...) La crise du Covid a rendu visible et spectaculaire la prééminence présidentielle. (...) Il y a un jeu de la représentation qui est complexe et attendu. (...) Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est la montée de la critique sur la présidentialisation. Cela assomme le débat."

Pour prolonger :

• Luc Foisneau est notamment l'auteur de Hobbes : la vie inquiète dans la collection Folio Essais, Gallimard, 2016. Et il coordonne l'atelier Actualité de la philosophie politique normative. Cette série d'entretiens est consultable sur le site de Politika.

• Brigitte Gaïti a coordonné avec Delphine Dulong le n°171 de la Revue française d'administration publique consacré à "La coordination du travail gouvernemental", 2019.