La campagne peut-elle exister en dehors de la guerre ?

Les candidats à la présidentielle ont assisté à un briefing du Premier ministre Jean Castex sur la guerre en Ukraine, à l'hôtel Matignon, le 28 février 2022.
Les candidats à la présidentielle ont assisté à un briefing du Premier ministre Jean Castex sur la guerre en Ukraine, à l'hôtel Matignon, le 28 février 2022. ©AFP - STEPHANE DE SAKUTIN / POOL
Les candidats à la présidentielle ont assisté à un briefing du Premier ministre Jean Castex sur la guerre en Ukraine, à l'hôtel Matignon, le 28 février 2022. ©AFP - STEPHANE DE SAKUTIN / POOL
Les candidats à la présidentielle ont assisté à un briefing du Premier ministre Jean Castex sur la guerre en Ukraine, à l'hôtel Matignon, le 28 février 2022. ©AFP - STEPHANE DE SAKUTIN / POOL
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Le 28 février dernier, les candidats à l’élection présidentielle ont été reçus à Matignon par le Premier Ministre pour une réunion au sujet du conflit en Ukraine. Comment la campagne se poursuit-elle alors qu’une guerre se déroule aux portes de l’Europe ?

Avec
  • Wanda Mastor Professeur de droit public à l’université de Toulouse 1 Capitole
  • Chloé Morin Politologue, spécialiste de l'opinion publique

Tous les observateurs de la politique le répètent depuis une semaine : la campagne est bouleversée par la guerre en Ukraine. Hier, le Premier Ministre a reçu à Matignon certains des candidats ; cet après-midi, il a transmis un message à l'Assemblée Nationale et au Sénat, avant les interventions des chefs de parti sur ce même thème. Les sujets débattus avant le déclenchement de ce conflit, comme les retraites, la fiscalité ou le climat, ont été éclipsés. Pour autant l'élection présidentielle et les élections législatives vont se tenir aux dates prévues et seront fortement teintées par la suite de ce conflit. 

Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Laurent Godmer, maître de conférences HDR en science politique à l'Université Gustave Eiffel, Wanda Mastor, professeure de droit constitutionnel à l'Université Toulouse 1 Capitole et Chloé Morin, politiste spécialiste de l'opinion, conseillère opinion à Matignon de 2012 à 2016. 

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Laurent Godmer souligne le retour des questions internationales, et de la promesse européenne de paix, au cœur de la campagne : “Une campagne est une temporalité spécifique. Les rites de campagne sont bouleversés mais toujours observables. Ce qu’il se passe, c’est une forte dé-médiatisation de ces rituels traditionnels et une hyper-médiatisation d’une question internationale inédite. (...) Une certaine campagne aura quand même lieu a minima. (...) Il y a une mise en avant de thèmes qui, en général, étaient relégués au fin fond des programmes des candidats. On va délibérer autrement concernant l’élargissement, le futur géopolitique de la France. (...) La promesse de paix redevient centrale, il y a un retour de l’attente autour de cette promesse européenne. C’est inédit, pour une guerre qui ne concerne pas le territoire national.

Wanda Mastor met en lumière le bon fonctionnement des institutions françaises et l'encadrement des élections par la Constitution, qui permettront selon elle que l'élection présidentielle se déroule comme prévu, malgré la crise démocratique que l'on traverse : "Les élections présidentielles sont entièrement encadrées par la Constitution, qui est plus difficilement modifiable qu’une simple loi. Le cadre est gravé dans l’article 7 qui impose un délai par rapport au mandat du Président de la République. (...) Les empêchements concernent la personne et non les événements. (...) Un conflit qui, pour le moment, ne nous engage pas en tant qu’Etat belligérant n’est pas concerné par l’article 16. (...) Il faut quand même essayer d’être optimiste, les institutions tiennent, nous avons une Ve République qui a des rouages extrêmement bien faits. Il faut juste donner au peuple envie d’aller voter. Nous ne sommes pas en guerre, les institutions tiennent la route. Il n’y a pas de campagne, on perd du temps à polémiquer sur les mêmes choses. On traverse une grande crise démocratique."

Chloé Morin explique l'influence qu'a la guerre en Ukraine sur les thèmes abordés durant la campagne, et sur les différents avantages ou désavantages dont elle va être à l'origine chez les différent.es candidat.es :  "La guerre va modifier la tonalité de la campagne. Il y a des sujets qui sont relégués au second plan. Le critère de présidentialité des candidats devient plus important qu’il ne l’était il y a quelques jours. Emmanuel Macron a un avantage considérable à faire valoir vis-à-vis de ses concurrents qui ont pu d'ores et déjà démontré d’un manque d’expérience voire d’une certaine désinvolture dans leur manière d’aborder les questions internationales. (...) C’est un moment de gravité qui révèle les uns et les autres. On mesure la valeur de notre système institutionnel, le prix de la démocratie. On peut imaginer un sursaut civique. (...) Dans la façon de faire une campagne, il va y avoir une adaptation du registre, il est impensable d’être soit dans la dérision ou dans une forme de joie. Le terrain du débat politique se déplace vers l’Europe et vers les questions internationales. De nombreux sujets vont être escamotés or ce sont des sujets qui seront traités par le ou la prochain.e Président.e. Le type de blocage que l’on a eu durant le quinquennat qui s’achève, voire de convulsion sociale, pourrait se reproduire, d’autant plus que les sondages laissent apparaître un paysage politique très fragmenté donc le ou la Président.e sera élu.e avec un front d’opposition très important. "

Bibliographie :

  • Laurent Godmer, Le travail électoral. Ethnographie d'une campagne à Paris, L'Harmattan, 2021
  • Chloé Morin, On a les Politiques qu’on mérite, Editions Fayard, février 2022

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