La féminisation des migrations change-t-elle l'accueil des réfugiés ?

Des réfugiées à Medyka, à la frontière ukraino-polonaise, le 5 mars 2022.
Des réfugiées à Medyka, à la frontière ukraino-polonaise, le 5 mars 2022. ©Maxppp - Kay Nietfeld
Des réfugiées à Medyka, à la frontière ukraino-polonaise, le 5 mars 2022. ©Maxppp - Kay Nietfeld
Des réfugiées à Medyka, à la frontière ukraino-polonaise, le 5 mars 2022. ©Maxppp - Kay Nietfeld
Publicité

Alors que les premiers réfugiés ukrainiens arrivent en France, nous nous intéresserons, depuis la ville de Lille et à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, aux migrations féminines, souvent invisibilisées.

L’arrivée de plus de deux millions de réfugiés ukrainiens et ukrainiennes en Europe, qui vont ensuite se répartir dans les pays de l’Union européenne, a bouleversé en quelques jours la politique d’accueil européenne. Cette migration forcée, pour beaucoup de femmes, parfois accompagnées d'enfants, met l’accent sur la féminisation de ces mouvements migratoires. En effet, plus de 50% des personnes arrivées en France sont des femmes, une réalité souvent ignorée tant ces arrivées ont été au fil du temps invisibilisées. En quoi leur expérience est-elle différente de celle des hommes ? Ont-elles besoin d’un accueil différent ? Les lieux d’accueil sont-ils adaptés à leurs besoins ? Les problématiques sont-elles semblables selon les pays de départ et l’expérience du trajet migratoire ?

Pour ce débat en direct de Lille, Emmanuel Laurentin reçoit Audran Aulanier, doctorant en philosophie et sciences sociales au Centre d'étude des mouvements sociaux (CEMS) de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et fellow de l’Institut Convergences Migrations (ICM), Arnaud Deslandes, adjoint au Maire de Lille chargé de la Solidarité et de la Cohésion des territoires, Héloïse Hazard, animatrice de réseaux de solidarité au Secours Catholique, Masooma Sadat, juriste et politiste afgane, ancienne conseillère juridique banque centrale de Kaboul, et son interprète Maryam Darcy.

Publicité

Audran Aulanier met en lumière les violences sexistes et sexuelles dont sont souvent victimes les femmes migrantes, que ce soit avant, pendant, ou après leur parcours migratoire, et la difficulté de proposer une réponse adaptée face à ces violences subies : "Ce qui est particulier pour les femmes ce sont les violences sexuelles, en particulier l’excision, qui est très courante, notamment chez les demandeuses d’asile. (...) Heureusement qu’il y a des initiatives qui existent, mais il faut souligner que les violences sexistes et sexuelles ne s’arrêtent pas la frontière franchie (...) Une bonne partie de l’accueil se fait dans des centres d’accueil gérés par des associations, par des groupes, qui font avec les moyens du bord, c'est-à-dire avec l’argent donné par l’Etat. Pour un demandeur d’asile, c’est autour de 19€ par jour et par personne, c’est très peu. C’est très difficile de proposer des réponses personnalisées (...) Trouver du travail est souvent plus compliqué pour les femmes, ce qui engendre une solitude encore plus accrue pour elles même quand elles sont hébergées : L’hébergement ne résout pas tout."

Arnaud Deslandes insiste sur l'accueil indifférencié des migrants et migrantes à Lille, et sur les réponses apportées face aux difficultés rencontrées : "On a toujours revendiqué d'accueillir tout le monde, quel qu’il soit, hommes, femmes et enfants. Les femmes sont souvent moteurs de la socialisation. Ce sont elles qui vont aller chercher la reconquête des droits, notamment pour leur famille, la scolarisation pour les enfants, le suivi sanitaire et psychologique etc. On applique des mesures spécifiques adressées aux femmes quand elles ont subi des persécutions (...) Quand des personnes arrivent à Lille, on fait en sorte d’empêcher le retour au pays d’origine, de pouvoir être accueillis et que les droits soient traités en France. (...) On peut individualiser la réponse. On peut mettre à disposition des maisons avec plusieurs pièces pour maintenir le noyau familial. On sait individualiser la réponse. C’est une volonté politique qui s’exprime."

Héloïse Hazard souligne l'ampleur des violences sexistes et sexuelles subies par les femmes migrantes, la difficulté pour elles de prendre la parole du fait de la violence institutionnelle qu'elles peuvent subir, et le manque de prise en compte de leur volonté d'autonomie : "Il y a une étude de l'association de la Comede qui a montré que dans les personnes interrogées, 74% des femmes déclaraient des antécédents de violence lié à leur genre, et 52% des antécédents de torture. Près d’une femme sur deux que l’on rencontre a subi de la violence à un moment ou un autre, dans le pays d’origine, pendant le trajet ou en arrivant en France, quand elles sont en situation de précarité extrême, où elles peuvent faire l’objet de prédations d’hommes malveillants. (...) Il y a énormément de réseaux de traite d’êtres humains qui se mettent en place, essentiellement à l’égard des femmes, y compris en arrivant en France. C’est très difficile pour les associations de réussir à accompagner les femmes dans ce cadre-là, il faut qu’elles puissent libérer la parole. Elles ont peur des institutions et subissent souvent des violences institutionnelles à leur arrivée. (...) Il y a une idée reçue que celui qui migre, c’est l’homme. On prend peu en compte la capacité d’autonomie et la volonté d’émancipation des femmes qui fuient des persécutions liées à leur genre."

Masooma Sadat exprime sa reconnaissance auprès de la ville de Lille, qui lui a réservé un accueil particulier, sécurisant et rassurant, et souhaite travailler pour le Gouvernement afin d'aider d'autres immigrés : "Notre accueil était particulier par rapport à ce que j’ai pu entendre. Nous avons été accueillis en personne, nous avons ressenti tout de suite le cadre et la sécurité. Du premier jour jusqu’à aujourd'hui, toute l’équipe s’occupe de nous. (...) Je suis désolée d’entendre ces chiffres. Ces femmes ont quitté leur pays pour trouver la sécurité et la paix, et ne l'ont pas trouvé. Je veux remercier l’État français pour avoir ces conditions de vie. L’accueil qu’ils ont réservé pour moi n’était pas celui des autres. (...) Pour le moment, je suis concentrée sur l’apprentissage de la langue française. Après la langue, je vais travailler. Je veux rendre le service que l’État français m’a rendu, travailler pour le Gouvernement français et aider d’autres immigrés qui sont comme moi."

Bibliographie :

  • Camille Schmoll, Les damnées de la mer : Femmes et frontières en Méditerranée, Éditions La Découverte, 2020
À lire aussi : "Migrants"
Le Temps du débat
38 min
Le Temps du débat
37 min
Le Temps du débat
38 min

L'équipe