Le désarmement nucléaire a-t-il vécu ?

Signature du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire le 8 décembre 1987 entre R. Reagan et M. Gorbatchev.
Signature du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire le 8 décembre 1987 entre R. Reagan et M. Gorbatchev. ©AFP - AFP Photo
Signature du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire le 8 décembre 1987 entre R. Reagan et M. Gorbatchev. ©AFP - AFP Photo
Signature du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire le 8 décembre 1987 entre R. Reagan et M. Gorbatchev. ©AFP - AFP Photo
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Depuis l’invasion de l’Ukraine, la Russie menace d’utiliser ses armes nucléaires. Alors que le désarmement était un horizon depuis la fin de la Guerre froide, quel est le sens de cette rupture géopolitique ? Comment la communauté internationale peut-elle la prendre en compte ?

Avec
  • Marc Finaud Marc Finaud, ancien diplomate français, professeur associé au Centre de Politique de Sécurité de Genève (GCSP) et membre du Bureau d’Initiatives pour le Désarmement nucléaire (IDN).
  • Benjamin Hautecouverture Maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique

Les générations nées après la Seconde Guerre mondiale ont entendu pendant des décennies deux discours antinomiques. Le premier considérait l’arme atomique comme une providence, tant sa puissance en dissuaderait l’usage. Le second prônait le désarmement prétextant justement du caractère ultime de cette arme nucléaire.

En pratique, le discours du désarmement l’a emporté après la chute du mur de Berlin et le nombre de têtes nucléaires a commencé à baisser drastiquement. Mais, parallèlement, de nouvelles puissances nucléaires sont nées et les deux plus importantes, les États-Unis et la Russie, ont modernisé cet arsenal en revenant sur les traités qu’ils avaient signés au beau temps du désarmement. Le dernier épisode de ce feuilleton s’est déroulé récemment à Moscou quand Vladimir Poutine a décidé de mettre les forces nucléaires russes en régime spécial d’alerte au combat.

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Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Marc Finaud, ancien diplomate français, expert en prolifération des armes au Centre de Politique de Sécurité de Genève, Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et Mélanie Rosselet, enseignante au Centre Interdisciplinaire d’Etudes sur le nucléaire et la stratégie (CIENS) de l’Ecole Normale Supérieure de Paris, directrice de l’analyse stratégique du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA/DAM).

Marc Finaud met en lumière l'intérêt d'avoir une approche réaliste du désarmement nucléaire : "L'obligation de désarmement était loin d'être respectée. Cela a été une façon indirecte d'encourager la prolifération. Aujourd'hui, on voit ce qu'il se passe quand une puissance nucléaire, quel que soit le nombre de ses armes, peut se permettre d'envahir un pays voisin sans risquer la moindre intervention d'autres puissances nucléaires, puisque ce serait entrer dans un engrenage de guerre mondiale. (...) Ce ne sont pas les États ou leur doctrine qui sont en cause, ce sont la nature de ces armes de destruction massive, qui seraient destinées à commettre des massacres de civils innocents à une très large échelle. (...) Il y a une approche réaliste de ce désarmement nucléaire qui doit s'inscrire dans un cadre multilatéral, il est compatible avec les obligations du traité de non-prolifération."

Benjamin Hautecouverture note la perte de culture stratégique des pays occidentaux : "S'agissant de la surprise qui a pu émaner du public occidental, ce qu'il s'est passé est dû à une perte de culture stratégique, due aux dividendes de la paix, c'est-à-dire le fait que depuis le début des années 90, la question du nucléaire ne se posait plus. La couverture stratégique dont disposent les Etats n'était là que comme une espèce d'arrière fond historique. (...) Cette couverture stratégique est en permanence présente dans les rapports entre États, mais le grand public ne le savait plus. (...) Je ne pense pas que la modernisation est ce qui a permis à Vladimir Poutine de mener une opération conventionnelle sous couvert de ces armes stratégiques. Cette fonction agressive de la dissuasion nucléaire existe depuis longtemps. (...) Ce que fait la Russie, c'est se comporter à l'inverse de la lettre et de l'esprit de tous les grands Traités dont elle est partie. (...) Le rythme de la prolifération est excessivement long."

Mélanie Rosselet souligne la nécessité de la préservation de la logique de dissuasion nucléaire : "On a vu une détérioration du contexte stratégique, dès la fin de la Guerre froide. (...) À partir de 2008, de nouvelles problématiques de dissuasion ont ressurgi avec un retour de la compétition entre grandes puissances nucléaires. (...) Toutes les doctrines ne se valent pas, toutes les pratiques ne sont pas équivalentes. (...) Ce que fait Vladimir Poutine, c'est la "sanctuarisation agressive", c'est brouiller les cartes, ce n'est pas la dissuasion. (...) Demander aux États occidentaux de faire unilatéralement ce que leurs adversaires ne feraient pas c'est les mettre en position de faiblesse face à des intérêts existentiels pour elle. (...) S'il n'y a pas la préservation d'une logique de dissuasion nucléaire face à des États dont l'agressivité est avérée, on sera dans une situation pire. (...) Tout le monde serait perdant dans un conflit nucléaire."

Bibliographie :

  • Marc Finaud, L'arme nucléaire - Eliminons-là avant qu'elle nous élimine, L'Harmattan, 2020

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