Depuis dix siècles, la transmission du nom du père relève presque d’un "ordre naturel". La proposition de loi consistant à faciliter le changement de nom de famille questionne la relation de la société à l’identité et au rôle du nom dans la construction et l’affirmation de soi.
Une proposition de loi est examinée cette semaine au Sénat pour permettre de changer son nom de famille plus aisément. Cette proposition fait débat entre ses défenseurs, qui estiment prendre en compte la volonté de celles et ceux qui veulent abandonner le nom du père pour en avoir souffert et de choisir le nom de la mère, et ses opposants qui y voient une privatisation de l'état civil et le risque d’un bouleversement dans l’ordre familial. Ce débat survient en même temps que la sortie en librairie du dernier récit de Constance Debré, "Nom", dans lequel la romancière cherche à se débarrasser de son patronyme comme du reste de son héritage familial.
Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Pierre Dupré, porte-parole du collectif Porte mon nom, Agnès Fine, anthropologue, directrice d'études honoraire à l'EHESS et Laure de Saint-Pern, maîtresse de conférences en droit privé à l'Université de Paris, spécialiste en droit de la famille.
Pierre Dupré défend l'intérêt de la proposition de loi et la nécessité d'adaptation du droit aux mutations de la famille et de la société : "À l'heure actuelle, on impose à un adulte lambda de porter un nom d'un parent qui n'a pas contribué à son éducation ou d'un parent maltraitant. Si cette loi permet à de nombreuses personnes qui souffrent profondément d'un passé douloureux de tourner la page et de se focaliser vers le futur en vivant mieux leur présent, pourquoi les en priver ? (....) Pour moi, c'est la société qui fait la loi, pas le contraire. Les lois ne sont pas naturelles et immuables, elles évoluent avec la société. Il faut dédramatiser cette loi, il s'agit d'ouvrir de nouveaux droits pour des personnes adultes et de faciliter la vie des parents qui élèvent seuls leurs enfants et dont ils ne portent pas le même nom. Cette loi ouvre des droits et n'en enlève à personne. (...) La famille a muté. Il faut s'adapter. (...) C'est pas le nom qui fait l'unité entre les personnes"
Agnès Fine souligne elle aussi le rapport nouveau de l'État à la famille, qui devrait permettre un rapport "plus souple" au changement de nom de famille : "Le nom de famille c'est l'identité. Dans la majorité des cas, les personnes sont heureuses de se référer à des êtres aimés. Mais le fait que la possibilité de changer de nom soit donnée est une bonne chose. L'état civil n'a plus comme seule fonction l'identification des individus. Les individus veulent faire coller leur identité civile avec le sentiment d'eux-mêmes, ce qu'on appelle le sentiment de soi. Ça s'encre dans l'évolution des rapports entre l'individu, les familles et l’État. (....) Les identifications ne passent plus par la famille, mais par-dessus la famille, par d'autres moyens. L’État peut identifier des individus sans passer par le canal de la famille, donc le rapport avec le nom de famille peut être plus souple."
Quant à elle, Laure de Saint Pern considère que la loi envisagée facilite excessivement les procédures, et présente un danger pour la protection des droits des personnes : "Cette loi est devenue une proposition qui lie une filiation à une émotion. On peut prendre en compte la souffrance de quelqu'un, mais il ne faut pas oublier que l'état civil ne peut pas changer au gré des émotions. (...) La loi est générale : on peut avoir des exceptions mais on ne peut pas inverser exceptions et principes. Une procédure ultra-simplifiée a des désavantages. (...) Le nom de famille fait partie de l'identité. Aujourd'hui, il y a cette idée de faire coïncider l'identité personnelle et son état civil. Bien sûr, il y a d'autres éléments qui participent de l'identité de la personne tout au long de la construction de sa vie. Pour autant, la loi doit-elle permettre de modifier tous ces éléments qui peuvent être des éléments constants dans ce nom ? Je n'en suis pas certaine. Cette procédure envisagée est trop facile. Elle risque de ne pas garantir la protection des droits des personnes.".
Bibliographie :
- Dir. Agnès Fine et Françoise-Romaine Ouellette, Le Nom dans les sociétés occidentales contemporaines, Presses Universitaires du Mirail, collection "Les Anthropologiques", 2005
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