Le RN a-t-il achevé sa normalisation ?

Marine Le Pen lors d'une visite d'une ferme, le 11 avril 2022 à Soucy, en Bourgogne.
Marine Le Pen lors d'une visite d'une ferme, le 11 avril 2022 à Soucy, en Bourgogne. ©AFP - EMMANUEL DUNAND
Marine Le Pen lors d'une visite d'une ferme, le 11 avril 2022 à Soucy, en Bourgogne. ©AFP - EMMANUEL DUNAND
Marine Le Pen lors d'une visite d'une ferme, le 11 avril 2022 à Soucy, en Bourgogne. ©AFP - EMMANUEL DUNAND
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Alors qu’à l’origine, le RN, anciennement FN, se positionne clairement contre l’immigration et en faveur de la préférence nationale, Marine Le Pen met en avant d’autres thématiques dans cette campagne. Ses discours plus consensuels et cette image policée font-ils du RN un parti comme les autres ?

Avec
  • Maud Bregeon Députée Renaissance des Hauts-de-Seine, porte-parole du groupe Renaissance à l'Assemblée, ingénieure dans le secteur nucléaire
  • Luc Rouban Directeur de recherche au CNRS / CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po), auteur notamment de « Quel avenir pour la fonction publique ? », ed. La documentation française, 2017.

Il y a quatre ans quasiment jour pour jour, lors d’un congrès à Lille, Marine le Pen proposait à son parti, le Front National, de changer de nom et de devenir le Rassemblement National. Entre temps, depuis la flamme bleu, blanc, rouge jusqu’à son nom propre, puis jusqu’a son prénom, tout ce qui rattachait la candidate à la longue histoire du parti fondé par son père il y a bientôt cinquante ans a été gommé des affiches électorales pour être remplacé par le slogan "Pour tous les français". Pour autant, alors qu’il accède pour la troisième fois au second tour de la présidentielle, est-il devenu un parti comme un autre ? Et aux yeux de qui ?

Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Maud Bregeon, porte-parole En Marche, Andréa Kotarac, président du groupe RN d'Auvergne-Rhône-Alpes et Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS et chercheur au CEVIPOF-Sciences Po.

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Maud Bregeon souligne la nécessité de ne pas oublier l'histoire du RN, et des valeurs défendues par Marine Le Pen, bien éloignées des valeurs de la gauche : "Ce qui n'a pas bougé, ce sont les valeurs que les hommes et les femmes politiques portent. (...) S'il n'y avait pas eu l'Union européenne, il n'y aurait pas eu les vaccins, le plan de relance pendant la crise sanitaire. Quand Marine Le Pen nous dit qu'elle veut réduire les subventions et mettre fin à la libre circulation des biens et des personnes, ça revient à sortir de l'Union européenne, ou en tout cas à s'en détacher extrêmement largement. (...) Le peuple de gauche a des valeurs auxquels il est attaché que le Rassemblement national ne porte pas du tout, par exemple concernant l'immigration. (...) Le RN est un parti dont il ne faut pas oublier l'histoire, les gens qui l'ont dirigé, les propos, les valeurs, le regard porté vers l'étranger, la place donnée à la lutte contre le réchauffement climatique."

Andréa Kotarac remet en cause le clivage gauche/droite et explique dans quelle mesure Marine Le Pen incarne aujourd'hui la République et le peuple : "C'est le clivage gauche/droite qui n'a plus de sens. (...) Marine Le Pen n'est pas la candidate du Rassemblement national, ce n'est plus la Présidente du parti, elle a le soutien du parti et des Français. L'extrême-droite c'est remettre en cause les libertés fondamentales. Qui a remis en cause les libertés fondamentales individuelles ou publiques? C'est Emmanuel Macron durant la crise du Covid. (...) Le barrage qui va se mettre en place c'est : est-ce que je vais être co-responsable d'un carnage social ? De la retraite à 65 ans ? Du démembrement des services publics ? (...) La pensée jaurèsienne de justice sociale, République et laïcité est parfaitement incarnée par Marine Le Pen. (...) Aujourd'hui, on a un camp du peuple qui est aux côtés de Marine Le Pen, et le bloc des élites qui est aux côtés d'Emmanuel Macron"

Luc Rouban note les différentes fractures au sein de l'espace politique français actuel, et les différences notables entre la gauche et la droite, faisant toujours exister un clivage : "Dans ce processus de "normalisation", Eric Zemmour a joué un rôle essentiel, celui de l'héritier de Jean-Marie Le Pen, en focalisant le débat sur la question identitaire, et sur les questions de culture française, il a permis à Marine Le Pen de se déployer sur un terrain beaucoup plus social et économique. (...) La question de la défiance à l'égard des institutions est la fracture qui structure le champ politique français. (...) Au-delà des phénomènes de droitisation, on a une fracture, une opposition entre deux mondes : le monde de la complexité, de l'Europe, et le monde de la proximité, du pouvoir d'achat, des déserts médicaux. (...) On assiste à la fois à une droitisation de l'espace politique français sur les valeurs culturelles, mais sur la question économique on a une fracture claire autour du libéralisme économique. (...) Si on regarde les fondements de la République, c'est avant tout une philosophie positiviste, qui s'appuie essentiellement sur les acquis de la science. Or, dans l'électorat de Marine Le Pen, vous avez beaucoup de personnes qui sont dans ce rejet de ce positivisme, sont beaucoup plus dans l'affect, dans l'immédiateté, voire dans le complotisme. (...) Il y a toujours un clivage gauche/droite, quand on regarde les valeurs, l'électorat. Le problème, c'est qu'on assiste à l'effondrement des grands partis politiques, qui assuraient la socialisation politique."

Bibliographie :

  • Luc Rouban, Les raisons de la défiance, Presses de Sciences Po, 2022
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