Les divisions françaises sont-elles insurmontables ?

Emmanuel Macron célébrant sa réélection le 24 avril 2022 au Champ de Mars, à Paris.
Emmanuel Macron célébrant sa réélection le 24 avril 2022 au Champ de Mars, à Paris. ©Getty - Bertrand Guay
Emmanuel Macron célébrant sa réélection le 24 avril 2022 au Champ de Mars, à Paris. ©Getty - Bertrand Guay
Emmanuel Macron célébrant sa réélection le 24 avril 2022 au Champ de Mars, à Paris. ©Getty - Bertrand Guay
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Dans certains territoires français, l’abstention et le vote d’extrême-droite ont atteint des niveaux records qui témoignent d’une défiance, voire d’une colère, de nombreux citoyens à l’égard du système institutionnel. Comment comprendre les résultats d’un corps électoral de plus en plus fragmenté ?

Avec
  • Emile Chabal Enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’Université d’Edimbourg.
  • Jacques Lévy Géographe, directeur de la chaire “intelligence spatiale” de l’université Polytechnique Hauts-de-France
  • Claudia Senik professeure d’économie à Sorbonne Université et à l'École d'économie de Paris. Elle dirige l'Observatoire du bien‐être du CEPREMAP et est directrice adjointe du CEPREMAP (Centre pour la Recherche Economique et ses Applications).

La France : combien de divisions ? Deux ou trois ? À l’issue de cette élection, la France est-elle coupée en deux ou bien sommes-nous un pays tripartite ? Comment prendre en compte la frustration démocratique ou le choix par défaut que bien des électrices et électeurs ont affirmé avoir eu hier au moment de voter ou de s’abstenir ? Jeunes contre personnes âgées ? Villes mondialisées contre villages ? Campagnes désertifiées contre villes surdotées en commerces et services ? Confiants contre méfiants ? Ces oppositions sont-elles justifiées ou fantasmées ?

Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Emile Chabal, enseignant-chercheur en histoire contemporaine à l’Université d’Édimbourg en Écosse, dont les recherches portent principalement sur la culture politique en France depuis 1968, Jacques Levy, géographe, spécialiste de géographie politique, directeur de la chaire Intelligence spatiale de l’Université polytechnique Hauts-de-France et Claudia Senik, professeure à Sorbonne Université et à l’Ecole d’économie de Paris (PSE), directrice de l’Observatoire du bien-être au Cepremap et Membre du Conseil d’analyse économique.

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Emile Chabal souligne les différentes formes de fractures françaises existantes et l'importance de la sociabilité puis note le retour, selon lui, d'une lutte des classes : "Emmanuel Macron a un discours anxiogène. La France a peur d'un certain déclassement, ce n'est pas une France tranquille. Il y a des discours puissants de déclin (...) Ce second tour représente les fractures françaises, les différences démographiques et socio-économiques qui existent en France. Ces divisions sont la conséquence du système démocratique (...) La question du lien social se pose. (...) Il me semble vraiment qu'on assiste à un retour d'une politique de lutte des classes. Cela me rappelle les années 1970 en France."

Jacques Levy remet en question l'idée du retour d'une lutte des classes, et souligne les divisions nouvelles caractérisant l'espace politique recomposé :  "Dans ce second tour, les écarts, les divisions géographiques sont encore plus importantes que les divisions habituelles entre catégories socio-professionnelles ou les tranches d'âge, même si elles ne sont pas négligeables non plus. (...) Les gilets jaunes ont fait découvrir un monde souterrain. (...) La gauche et la droite classique n'ont pas voulu accepter qu'il y avait une recomposition des enjeux et de l'offre. (...) Je serais plutôt défavorable à l'utilisation du terme "classe" au sens donné par Marx. Il y a une psycho-politique, les citoyens sont des individus beaucoup plus puissants qu'ils n'étaient il y a 50 ans. Cette stratification est socio-économique et fortement géographique. (...) La relation entre un individu, un groupe social et un choix politique a profondément changé."

Claudia Senik souligne l'existence de deux groupes au sein de la société française et l'empathie nécessaire pour penser une possible homogénéité :  "On parle aujourd'hui de réconcilier les Français, ceux qui sont fâchés, qui ont l'impression qu'en tant que peuple ils ont été trahis par les autres, c'est-à-dire l'élite. Ils sont fâchés car ils ont l'impression que la marche du monde telle que l'élite l'a voulu leur cause énormément de tord, leur fait perdre leur emploi, les déclasse, les humilie, les prive de respect. D'où la division entre ces deux groupes qu'il s'agit de réconcilier avec empathie. (...) Ca n'affecte pas uniquement les gens qui sont tout en bas de l'échelle sociale, ils sont privés d'ascension."

Bibliographie :

  • Jacques Lévy, Géographie du politique, Odile Jacob, 2022
  • Dir. Claudia Senik, Crises de confiance ?, La Découverte, 2020

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