Les réseaux sociaux participent au flux ininterrompu de polémiques qui sature notre espace de débat. Notre époque serait celle du scandale et de l'indignation permanente. Comment les médias traditionnels traitent ces polémiques et comment préserver un véritable débat ?
- Jérôme Lèbre professeur de khâgne, membre du Collège international de philosophie
- Dominique Boullier Sociologue, professeur à Sciences-Po Paris et spécialiste des technologies cognitives et des propagations.
- Arnaud Mercier professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse - Université Paris II
L’affaire Mila, du nom de cette jeune fille de seize ans menacée de mort pour avoir attaqué violemment la religion musulmane dans un échange sur Instagram, a montré comment médias traditionnels et réseaux sociaux interagissaient à grande vitesse pour créer un scandale de première ampleur dont le dernier rebond a eu lieu ce matin avec la publication dans le Dauphiné Libéré d’un entretien avec le Président de la République qui y réaffirme le droit au blasphème et à la critique de la religion.
Cet échauffement médiatique et politique renverse une hiérarchie traditionnelle des médias qui s’étaient donnés pour but d’éclairer le débat démocratique en en choisissant les termes et en ne réagissant pas immédiatement à tous les scandales.
Les réseaux sociaux choisissent-ils désormais le rythme et l'ampleur de nos débats ?
Fixer l'agenda n'est pas cadrer le débat
Le sociologue et linguiste Dominique Boullier explique que si les réseaux sociaux participent à mettre à l'agenda les sujets dont il s'agit de parler, en réalité, ce ne sont pas ces derniers qui "donnent le cadre de l'interprétation". En effet, à propos de l'affaire Mila, il ajoute qu'"on retombe sur des débats que l'on connait depuis des années sur la laïcité avec des schémas bien établis".
Sur les réseaux sociaux, la partie de haine et d'expression extrême prend le dessus sur tout le reste, et surtout sur la possibilité du temps du débat. Il n'y a ni débat, ni temps.
Dominique Boullier
Un contre-espace public
Le professeur en information et communication, Arnaud Mercier, rappelle que " les réseaux sociaux sont utilisés comme un outil pour ceux qui, d'habitude, n'ont pas accès à l'espace public et médiatique ".
Des groupes d’extrême droite ou d’extrême gauche, qui n'ont pas le même accès à l'espace public et médiatique, ou alors vraiment marginal, peuvent considérer qu'ici [sur les réseaux sociaux], ils ont un lieu de liberté d'expression.
Arnaud Mercier
La cure de silence ou la possibilité de s'extraire des réseaux sociaux
Le philosophe Jérôme Lèbre relativise la présumée aliénation que constituerait les réseaux sociaux en soulignant la possibilité de s'extraire de ces derniers. Il note qu'"on passe facilement des affects que l'on a sur le web à ceux qu'on a ailleurs. La vie est en fait un feuilletage de rythme et je pense qu'on n'est jamais pris entièrement dans un rythme particulier et que c'est pour ça que le danger n'est pas si grand".
On peut exister en même temps à des rythmes qui sont extrêmement différents, on n'est jamais complètement happés par un système technique.
Jérôme Lèbre
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