À l'instar des combats féministes et écologistes, les activistes s’emparent des réseaux sociaux où fusent des photos de soutien et des hashtags. Peut-on encore parler de militantisme ? Comment conjuguer le monde « virtuel » du cyberactivisme et le monde « réel » des mobilisations dans les rues ?
- Baptiste Kotras Sociologue, chercheur au LISIS
- Bintou Mariam Traoré Journaliste ivoirienne, à l’origine du #vraiefemmeafricaine
- Josiane Jouët Professeure émérite à l’Université Paris 2 et membre du Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias (Carism) de l’Institut français de presse
- Benjamin Tainturier Doctorant au Medialab de Sciences Po sur le “Renouvellement de l’engagement militant de la droite radicale sur internet et les médias sociaux”
Ceux qui fréquentent assidûment les réseaux sociaux ont pu remarquer une récente vague de portraits de femmes en noir et blanc. En s’arrêtant sur l’une de ces images, postées sur Instagram, Twitter ou Facebook, on découvre deux hashtags : #ChallengeAccepted et #WomenSupportingWomen. L’idée derrière ce “challenge” : promouvoir la sororité et l’empowerment féminin - que l’on a essayé de traduire par “empouvoirement”.
Loin de s’enthousiasmer pour cette initiative, Taylor Lorenz, journaliste au New York Times, critique cette forme de performative activism - en français “activisme performatif" - qui n’accomplirait rien, mis à part la promotion de soi.
Pourtant cet “activisme performatif” ne doit pas occulter le très large spectre des pratiques militantes sur les réseaux sociaux : le hashtag #MeToo a ainsi provoqué un mouvement planétaire, et les groupes Facebook furent l’autre lieu de rendez-vous du mouvement des Gilets jaunes. Dès lors, comment l’expression politique en ligne s’articule-t-elle avec l’action sur le terrain ?
Pour débattre de ces thématiques, nous recevons Josiane Jouët, professeure émérite à l’Université Paris 2 et membre du Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias (Carism), Baptiste Kotras, chercheur en sociologie au LISIS (pôle de recherche en sciences sociales consacré à l’étude des sciences et des innovations), Benjamin Tainturier, doctorant au Medialab de Sciences Po, Bintou Mariam Traoré, journaliste ivoirienne, à l’origine du hashtag #vraiefemmeafricaine.
Avec l’avènement d’Internet, aujourd’hui, chaque personne a le droit d’occuper l’espace numérique médiatique et de toucher la population. Il faut cependant essayer d’aller sur le terrain, et grâce à Internet, il est possible de une synergie en ligne, créer des groupes ou des associations pour cela. On ne peut évidemment pas se contenter poster une photo ou mettre un hashtag.
Bintou Maria Traoré
On parle slackactivisim, d’un "activisme paresseux" : c’est une très vieille critique faite aux militants, qui est en fait née bien avant les réseaux sociaux. Les manifestations étaient par exemple très contestées pour leur manque d’impact réel sur la politique, et les militants étaient facilement décriés. On retrouve aujourd’hui le même phénomène, mais sur Internet.
Baptiste Kotras
Il faut distinguer l’engagement 2.0 du militantisme lié à une action collective. Il peut certes y avoir une forme de militantisme dans les blogosphères politiques par exemple, qui se fait en vue d’une action collective, mais lorsque l’on exprime son point de vue par rapport à une cause, ce n’est pas du militantisme : c’est une forme d’engagement individuel. C’est aussi parfois une question de tendance : on peut alors parler d’influenceurs influencés par l’air du temps. C’est du marketing de soi, ce n’est pas politique.
Josiane Jouët
Il y a une coordination des actions sur le net de la part de l’extrême-droite, qui est très puissante sur les réseaux sociaux. Cette capacité de mobilisation des activistes en ligne se retrouve aussi dans le mouvement des Gilets jaunes : leur but, en militant sur Internet, n’est en fait pas d’attirer l’attention médiatique, mais d’organiser leurs actions et leur mouvement.
Benjamin Tainturier
Pour aller plus loin :
The Second Act of Social-Media Activism Has the Internet become better at mediating change, par Jane Hu, The New Yorker, 03.08.2020.
Baptiste Kotras. « L’opinion autorisée. Requalification communautaire de l’espace social et technique d’échantillonnage sur le web », Revue d'anthropologie des connaissances, 2015/3.
Josiane Jouët. « Digital feminism : questioning the renewal of activism », Journal of Research in Gender Studies 8(1), 2018.
Geoffrey Pleyers. « Présentation », Réseaux, vol. 181, no. 5, 2013.
Armelle Weil. « Vers un militantisme virtuel ? Pratiques et engagement féministe sur Internet », Nouvelles Questions Féministes, vol. vol. 36, no. 2, 2017
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