Le rapport à la religion et la bascule dans la radicalisation font partie des questions au cœur du procès des attentats du 13 novembre 2015. Dans quelle mesure le parcours et la parole des accusés peuvent-ils aider à mieux comprendre ces phénomènes ? Comment la recherche peut-elle s’en saisir ?
- Elyamine Settoul Sociologue, maitre de conférences au Conservatoire national des arts et métiers
- Florence Sturm Journaliste à France Culture, chroniqueuse judiciaire
- Antoine Mégie Politiste, maitre de conférences à l’université de Rouen
Cette semaine s’est ouvert le procès de l’assassinat du père Hamel, tandis qu’a été suspendu pour cause de Covid le procès de attentats du 13 novembre 2015. Au cours de ce dernier, pendant quatre semaines, la cour a entendu des experts et des témoins pour tenter de comprendre le processus de radicalisation qui a conduit les auteurs des attentats à les commettre. Cependant, ce sont surtout les accusés eux-mêmes qui ont décrit ce qui les a conduit sur les chemins des attentats.
Malgré tout, ce processus est difficile à définir et à généraliser tant les motivations individuelles croisent des volontés idéologiques plus générales. Un procès se doit de rechercher la vérité mais aussi, par le cours même du rendu de la justice, de mieux faire comprendre un crime hors-norme. Est-ce pour autant le lieu de définition de modèles reproductibles ou au contraire celui de la singularité ?
Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Antoine Mégie, politiste, maître de conférences à l'Université de Rouen, membre de l’équipe de recherche PROMETE (Procès, mémoire et terrorisme), Elyamine Settoul, maître de conférences au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), spécialiste de la radicalisation et Florence Sturm, chroniqueuse judiciaire et cheffe du service Société à France Culture.
Antoine Mégie met en lumière l'intérêt de se pencher sur la notion de radicalisation pour comprendre et juger : "Le procès a un objectif, c’est de définir une culpabilité sur des faits. Or, les faits, c’est-à-dire l’acte criminel est aussi interrogé par rapport l’intentionnalité. C’est pour cela que cette idée de radicalisation devient centrale : elle permet de définir une forme de condamnation. Est-ce que vous avez commis cet acte, donc les faits, dans une idée de radicalisation, c’est-à-dire idéologique, religieuse ou politique ? Cette notion va permettre de définir si on a affaire à quelqu'un qui va être condamné pour association de malfaiteurs terroristes, où on a reconnu cette radicalisation, ou si on est condamné pour association de malfaiteurs, sans le 't' de terroriste."
Florence Sturm souligne la différence entre l'idée de radicalisation et la personnalité de l'accusé, pour étudier davantage les faits : "La radicalisation est au cœur de ce procès. Le président va aborder les faits en disant d’emblée "on va aborder votre vision de la religion, ce qui a pu être qualifié de radicalisation". Cette notion va s’inscrire dans les faits étudiés et non pas dans la personnalité de l’accusé. (...) La partie personnalité de l’accusé, on l’a évacuée sans aborder la question de la religion. Il a fallu attendre les faits pour intégrer cette notion de religion. C’est intéressant car les avocats de la défense s’en émeuvent d’emblée, en disant qu’on assiste à un glissement de la notion de religiosité à celle de radicalisation, et la notion de radicalisation à la notion de dangerosité et donc de djihad armé.".
Elyamine Settoul, lui, définit la radicalisation et souligne les réalités hétérogènes que la notion regroupe : "Les modèles théoriques sur la radicalisation prennent la métaphore de l’escalier : un radicalisé serait quelqu’un qui monte les marches d’un escalier les unes après les autres, chaque marche paraît anodine mais rend le retour en arrière plus difficile. La première marche constitue souvent une crise identitaire, un malaise, un sentiment de privation, qui va générer une ouverture cognitive, qui va rencontrer une offre idéologique puis la personne va cibler une population qu’elle va regarder de manière monolithique, qu’elle considère comme l’ennemi. La dernière étape, qui est marginale, c’est le passage à la violence. (...) Le terme de djihadiste amalgame, réifie, standardise des réalités très hétérogènes."
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