Qui doit sauver les migrants en Méditerranée ?

Le "pacte des migrations" de la Commission européenne présenté à la rentrée parviendra-t-il à améliorer l'accueil des migrants sauvés en Méditerranée ?
Le "pacte des migrations" de la Commission européenne présenté à la rentrée parviendra-t-il à améliorer l'accueil des migrants sauvés en Méditerranée ? ©AFP - Anne CHAON
Le "pacte des migrations" de la Commission européenne présenté à la rentrée parviendra-t-il à améliorer l'accueil des migrants sauvés en Méditerranée ? ©AFP - Anne CHAON
Le "pacte des migrations" de la Commission européenne présenté à la rentrée parviendra-t-il à améliorer l'accueil des migrants sauvés en Méditerranée ? ©AFP - Anne CHAON
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En 2020, plus de 25 000 migrants ont tenté de rejoindre les côtes européennes par la Méditerranée, parmi eux 295 ont péri. Après des semaines de blocage, les ONG vont reprendre la mer pour leur porter secours tandis que l’UE tente de réformer sa politique migratoire. Comment mettre fin à ce drame ?

Avec
  • Fabienne Keller candidate UMP à la mairie de Strasbourg
  • Michaël Neuman Directeur d’études au Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (CRASH) de la Fondation MSF
  • Patrick Chaumette Professeur émérite sur le droit social maritime à l’Université de Nantes
  • Camille Schmoll Géographe, enseignante à l'Université de Paris et membre du laboratoire Géographie-cités et IC Migrations

Cette photo glaçante a fait le tour des réseaux sociaux pendant le mois de juillet. Elle a été prise le 29 juin par l’avion humanitaire SeaBird, qui survole le large des côtes libyennes pour repérer les bateaux de migrants en détresse. L’équipage de l’avion signale immédiatement la présence de l’embarcation naufragée aux garde-côtes libyens, italiens et maltais. Deux semaines plus tard, le corps est toujours là : personne n’est intervenu pour le sortir des eaux. 

Depuis le 7 juillet dernier et l’immobilisation en Sicile du bateau l’Ocean Viking affrété par l'ONG SOS Méditerranée, aucun navire humanitaire ne parcourt les eaux méditerranéennes pour réaliser des opérations de sauvetage de migrants naufragés. Dans le même temps, les États côtiers - Italie, Libye, Malte, Tunisie - se renvoient la balle sur les responsabilités légales en matière des opérations de sauvetage. 

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Les États et l’Union européenne sont-ils en train de déroger à leurs obligations ? Un consensus sur une réforme majeure de la politique migratoire européenne parviendra-t-elle à émerger d'ici la fin de l'année comme l'espère la Commission européenne ? 

Pour en débattre, nous recevons Fabienne Keller, députée européenne (Renew Europe), membre de la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures et de la délégation à l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée, Patrick Chaumette, professeur émérite sur le droit social maritime à l’Université de Nantes, Camille Schmoll, géographe à l'Université de Paris, spécialiste des migrations dans l’espace euro-méditerranéen et Michaël Neuman, directeur d'études au MSF-Crash (Centre de Réflexion sur l’Action et les Savoirs Humanitaires_)_ depuis 2010.

ONG, États et navires commerciaux assurent le sauvetage en mer

Les conventions de l’ONU sur le droit de la mer établissent que chaque navire (marchand, pêche, militaire, plaisance) doit participer aux obligations de sauvetage et à la sauvegarde de la vie humaine en mer. Dans la mer territoriale des États côtiers, on rentre dans le droit de l’immigration et le droit d’asile. Il faudrait coordonner le droit de la mer et le droit de la « terre ».          
Patrick Chaumette

Les ONG ne sont pas entièrement substituées aux États, elles n’ont jamais secourus la majorité des migrants en Méditerranée : les garde-côtes européens et les navires commerciaux ont assuré une fonction de sauvetage importante. Mais, progressivement, c’est l’intégralité de ce dispositif de sauvetage qui a été découragé par les pays européens du littoral au profit des garde-côtes libyens. Par ailleurs, la théorie de « l’appel d’air » – ONG complices des passeurs – n’est pas vraie puisque lorsqu’il n’y a pas de dispositif de sauvetage, les départs restent nombreux.          
Michaël Neumann

" Un dispositif de solidarité communautaire fait défaut "

Récemment, on assiste à une fermeture hypocrite et un zèle abusif de l’administration des États côtiers en première ligne comme l’Italie. D’ailleurs, certaines lois administratives italiennes sont contestables au regard du droit international et de la réglementation européenne – Schengen notamment.          
Patrick Chaumette

Depuis 2017-2018, le taux de mortalité augmente lors des traversées : de 2% à 8% en 2020. La crise humanitaire en Méditerranée prend ses racines sur la politique de coopération des pays européens avec les pays tiers, en particulier la Libye.          
Camille Schmoll

L’Italie est trop isolée dans la prise en charge des migrants. Nous entamons une nouvelle approche sur l’asile et l’immigration alors que la situation actuelle est dramatique et inacceptable. L’UE pourrait prendre en charge directement les sauvetages en mer. Dans le même temps, des discussions avec les États d’origine et sur la répartition de l’accueil de ces personnes migrantes au sein de l’UE sont nécessaires. Cela passe par une prise de conscience : au Parlement européen, les principaux groupes (PPE, Renew, S&D, Verts) souhaitent avancer fortement sur ce sujet car c’est l’ensemble de la zone Schengen qui serait remise en cause en cas d’échec. D’ailleurs, l’accord de Malte et le mécanisme de répartition des mineurs non accompagnés sur les iles grecques sont des premiers succès sur lesquels on peut s’inspirer pour la suite.          
Fabienne Keller

Les Pieds sur terre
28 min

Pour aller plus loin :

Actualités 

La Méditerranée, couloir de la mort pour les migrants, par Léa Masseguin, Libération, 07.08.2020.

Crispations entre la Tunisie et l’Italie sur la question migratoire, par Mohamed Haddad, Le Monde, 08.08.2020.

L’Italie et la Tunisie signent un nouvel accord pour maîtriser les flux migratoires, par Francesco Maselli, L'Opinion, 18.08.2020.

A Split, l’Europe tente de former les gardes-côtes libyens, par Julia Pascual, Le Monde, 24.09.2019.

Pacte européen sur les migrations, un projet dans l’impasse, par Jean-Baptiste François, La Croix, 12.06.2020.

Analyses

Quels sont les droits des migrants en mer ?, par Jean-Paul Pancracio, Questions internationales, 09.10.2019.

Migrations en Questions - Patrick Chaumette - Qui est responsable du sauvetage des personnes en détresse en mer ?, 16.07.2019.

Tribune : L’« Ocean Viking » bloqué : « La solidarité ne se divise pas : c’est ainsi que le nouveau monde survivra », par Bertrand Badie, Le Monde, 31.07.2020.

Crise en Méditerranée : quand l’Union européenne barre la route aux migrants, et aux ONG, par Antoine Pécoud et Marta Esperti, The Conversation, 19.12.2017.

« Les migrants sont exposés à une violence qui se poursuit chez nous », par Michaël Neuman, Le Un, 28.08.2019.

L'Europe face au choc des migrations, Questions internationales N°97 (Mai-juin 2019).

Les migrations au-delà des fantasmes, L'Économie politique,  2019/4.

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