Réforme des retraites : que reste-t-il aux opposants ?

Le 2 mars 2023, un rassemblement des syndicats à La Ricamarie, dans la Loire, pour débattre des moyens de mobilisation contre la réforme des retraites
Le 2 mars 2023, un rassemblement des syndicats à La Ricamarie, dans la Loire, pour débattre des moyens de mobilisation contre la réforme des retraites ©AFP - JEFF PACHOUD
Le 2 mars 2023, un rassemblement des syndicats à La Ricamarie, dans la Loire, pour débattre des moyens de mobilisation contre la réforme des retraites ©AFP - JEFF PACHOUD
Le 2 mars 2023, un rassemblement des syndicats à La Ricamarie, dans la Loire, pour débattre des moyens de mobilisation contre la réforme des retraites ©AFP - JEFF PACHOUD
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Le 7 mars, les syndicats appellent à la mobilisation contre la réforme des retraites, avec manifestations et grèves reconductibles. Alors que la loi entre en examen au Sénat, la stratégie à adopter dans et hors de l’enceinte parlementaire fait débat. Que reste-t-il aux opposants pour lutter ?

Avec
  • Denis Baranger professeur de droit public à l'université Paris II Panthéon - Assas
  • Aurélie Trouvé députée de Seine-Saint-Denis pour La France insoumise, économiste et ancienne porte-parole d’Attac
  • Stéphane Sirot Professeur d'histoire des idées politiques à l’Université de Cergy-Pontoise, spécialiste de l'histoire et de la sociologie des grèves, du syndicalisme et des relations sociales

Depuis deux mois, la France vit au rythme des journées de mobilisation et des débats au Parlement sur les retraites. Chaque étape est marquée alternativement par les cris de victoire du gouvernement ou de l’opposition. Mais celle de demain est particulièrement attendue puisque l’intersyndicale en a fait une date-clé alors que le texte est débattu depuis la fin de la semaine dernière au Sénat.

Mais une fois cette date passée, quelle sera la prochaine étape ? La grève reconductible ? De nouvelles journées de mobilisation ? Quelles stratégies l’opposition peut-elle inventer pour poursuivre le mouvement ?

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Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Denis Baranger, professeur de droit public à l'université Panthéon - Assas, co-directeur du blog Jus Politicum ; Aurélie Trouvé, députée LFI de la 9ème circonscription de Seine-Saint-Denis ; Stéphane Sirot, historien, enseignant à l'université de Cergy-Pontoise et à l'Institut d'administration des entreprises de l'université de Nantes, spécialiste des relations sociales et du syndicalisme.

Parlement, rue, entreprise : quels moyens de mobilisation ?

« Le gouvernement a ouvert la voie à une opposition frontale au parlement » analyse Denis Baranger à propos de l’utilisation du Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, qui limite les débats. « On observe alors plusieurs formes d’oppositions » poursuit-il, « l’opposition radicale de LFI qui a fait le choix de la conflictualité, l’opposition « pragmatique » du socialiste Jérôme Guedj, l’opposition silencieuse du RN et celle des opposants que sont les syndicats ». Aurélie Trouvé défend sa stratégie : « on a des désaccords, mais chacun joue à son poste » estime-t-elle. Elle défend la réinvention du rôle de député : « à LFI, on est dans une participation critique aux institutions dans un moment où c’est le mouvement social qui va compter ».

Pour la députée, « la démocratie est piétinée » : elle critique le véhicule législatif choisi, le manque d’écoute des syndicats et de la majorité populaire par le gouvernement. « Ce qui va compter, c’est la bataille dans la rue » juge-t-elle, « on veut réinstaurer le conflit parce que Emmanuel Macron n’a eu de cesse de vouloir l’effacer en annonçant la mort de la gauche, de la droite, des classes sociales… ». L’outil de la lutte ? « Le blocage de l’économie » selon elle, « l’effet produit sur moyens de production et sur le patronat sera capital ». « D’un côté on a un parlement et des institutions qui fonctionnent à leur manière, de l’autre un mouvement social qui a sa propre chronologie » observe Stéphane Sirot, « chacun a sa légitimité, il faut accepter que le temps politique ne soit pas le même que celui de la démocratie sociale : c’est l’élément qui permet d’engager un rapport de force ».

Un mouvement d’ampleur, un conflit entre légitimités concurrentes ?

« Aujourd’hui, il y a une revendication cristallisatrice » résume l’historien, « c’est le sixième mouvement social d’importance depuis 1995 qui conteste une réforme des retraites », et qui agglomère aussi d’autres problématiques, comme en témoigne la mobilisation des villes moyennes. Il remarque la force des syndicats : « s’ils sont affaiblis en nombre d’adhérents ou par la faible participation aux élections professionnelles, il y a tout de même une forte mobilisation : on est bien dans un pays de syndicalisme d’engagement, pas de syndicalisme de masse ».

Pour Denis Baranger, deux légitimités s’opposent : « la légitimité légale, constitutionnelle, qui procède de l’élection, et une légitimité plus diffuse, politique, sociale, sociétale ». « La légitimité légale de Macron est indiscutable, mais elle n’est pas robuste du fait de sa majorité relative » décrit-il, « et en France, il y a une vieille tradition qui remonte à Révolution selon laquelle le vrai peuple serait toujours en dehors des institutions, une forme de spontanéisme politique français ». C’est cet équilibre des légitimités qu’interroge un moment politique comme celui-ci : « la légitimité légale est toujours estimée supérieure à la légitimité sociale » nuance Stéphane Sirot, « ce discours qu’on entend aujourd’hui ressemble beaucoup à celui du député Le Chapelier qui en 1791 propose une loi interdisant les coalitions ». Pour lui, « le pouvoir politique devrait laisser respirer la démocratie sociale plutôt que de chercher à l’étouffer en pensant être supérieure à elle ».

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