Réfugiés : l'Europe a-t-elle appris de la crise de 2015 ?

Des réfugiés ukrainiens dans la gare de Przemyśl, en Pologne, après avoir fui l'invasion russe.
Des réfugiés ukrainiens dans la gare de Przemyśl, en Pologne, après avoir fui l'invasion russe. ©Getty - Ty O'Neil/SOPA Images
Des réfugiés ukrainiens dans la gare de Przemyśl, en Pologne, après avoir fui l'invasion russe. ©Getty - Ty O'Neil/SOPA Images
Des réfugiés ukrainiens dans la gare de Przemyśl, en Pologne, après avoir fui l'invasion russe. ©Getty - Ty O'Neil/SOPA Images
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Depuis le début de la guerre, un quart de la population ukrainienne s’est déplacée ou exilée et la Pologne a accueilli plus de la moitié de ces réfugiés. La politique d’asile européenne actuelle prend-t-elle en compte les apprentissages des crises migratoires précédentes, notamment celle de 2015 ?

Avec
  • Irina Muetzelburg Chercheuse au ZOiS, l'institut d'études est-européennes et internationales à Berlin et spécialiste des politiques migratoires européennes
  • Camille Schmoll Géographe, enseignante à l'Université de Paris et membre du laboratoire Géographie-cités et IC Migrations
  • Céline Schmitt porte-parole du HCR en France

Nous connaissons actuellement la plus grande vague de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale, puisque le Haut Commissariat aux Réfugiés a annoncé aujourd’hui que quatre millions d’ukrainiens et ukrainiennes - à 90% des ukrainiennes et des enfants - avaient quitté leur pays depuis le début de la guerre.

Une situation inédite depuis 2015 et l’arrivée de plus d’un million de syriennes et de syriens. Inédite aussi par la réponse européenne coordonnée et la mise en œuvre pour la première fois depuis sa création en 2001 d’une "protection temporaire" bien plus généreuse que les conditions d’accueil des précédentes vagues de réfugiés.
Une réponse exceptionnelle qui est évidemment comparée à celle, très différente, mise en place pour des demandeurs d’asile africains ou afghans.

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L’Europe aurait-elle changé de pied ? Et si oui, est-ce temporaire ou pour un plus long terme ?

Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Irina Mützelburg, docteure en science politique et chercheuse à l’institut d’études est-européennes et internationales de Berlin, Céline Schmitt, porte-parole du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés et Camille Schmoll, directrice d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS), membre de l'Unité Mixte de Recherche Géographie-cités et de l'Institut Convergences Migrations.

Irina Mützelburg met en lumière le caractère exceptionnel de la mobilisation actuelle et la nécessité de généraliser la solidarité et l'accueil digne aux autres groupes déplacés : "Il y avait une grande mobilisation lors de l’arrivée des syriens et syriennes en 2015, surtout au début. Mais, c’était quand même un stade beaucoup plus limité. La mobilisation actuelle est sans précédent. Il s’agit en partie de la dimension genrée, les gens sont davantage motivés pour accueillir des femmes avec des enfants, qui sont la figure classique de la vulnérabilité. (...) Une bonne partie des obstacles proviennent d’un racisme structurel et d’une peur des étrangers en Europe. Cette peur n’a pas disparu avec la situation actuelle. On voit un traitement différent entre les ukrainiens qui arrivent et d’autres groupes, considérés comme plus étrangers, traités différemment. (...) Ce serait merveilleux si ça fonctionnait pour d’autres groupes déplacés. La situation nous montre que ce type d’accueil est faisable, alors qu’on nous a toujours dit c’était impossible d’accueillir autant de monde de manière digne et humaine."

Céline Schmitt explique la mise en place d'une protection temporaire, et l'importance de généraliser cette solution : "La protection temporaire mise en place par l’Union européenne aux réfugiés ukrainiens est inédite. Il s’agit d’une protection collective qui peut être activée dans le cas d’un afflux de masse de personnes qui fuient la guerre et qui arrivent en Europe. Les personnes n’ont pas besoin de faire une demande d’asile individuelle. (...)  Ils vont avoir un titre de séjour lié à cette protection, c’est la première fois qu’elle est activée. C’est une très bonne chose. Le nombre de réfugiés qui arrive en Europe est très important, c’est la crise de déplacement la plus rapide qu’ait connu l’Europe et le monde depuis la Seconde Guerre mondiale. (...) En plus d’une crise de déplacement, c’est aussi une crise de la protection des personnes. (...) Il ne faut pas oublier les autres crises dans le monde. Il y a des réfugiés syriens, afghans. Il faut que les discussions sur le partage de responsabilité et de solidarité continuent en Europe. Il faut que ce qui est en train de se mettre en place puisse être pérennisé."

Camille Schmoll souligne les limites de la protection temporaire, et les différences de cette crise avec celle de 2015 : "La question de l’accès à la protection temporaire pour les personnes non ukrainiennes résidentes en Ukraine se pose, comme les étudiants ou les travailleurs temporaires. (...) Le traitement politique particulier réservé aux réfugié.es ukrainiens et ukrainiennes est sans précédent. Il y a une rapidité de l’exode. C’est difficile de comparer avec ce qu’il s’est passé en 2015. Le traitement est différent, les itinéraires aussi, les risques aussi, la composition de la population. Les femmes sont beaucoup plus nombreuses que dans les exodes précédents, et il y a une proximité ressentie avec cette population. (...) Le contexte de libre circulation qui a précédé la crise permet une gestion plus souple."

Bibliographie :

  • Camille Schmoll, Les damnées de la mer : Femmes et frontières en Méditerranée, La Découverte, 2020

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