L’extrême-droite est au deuxième tour de la présidentielle, et les deux grands partis “de gouvernement” en sont absents. Les scores d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon constituent-ils une réédition de 2017 ou marquent-ils une recomposition plus profonde ?
- Florence Haegel directrice de recherche au Centre d’études européennes de Sciences Po, auteur de Les droites en fusion, transformations de l’UMP
- Bruno Cautrès politiste, chercheur CNRS au Cevipof, professeur à Sciences Po Paris
L’élection de 2017 avait ébranlé les structures d’anciens partis, comme le Parti socialiste. Mais le premier tour de celle de 2022 a poursuivi le travail de sape entamé alors en y ajoutant la famille gaulliste des Républicains. Là où la vie politique était jusqu’alors fondée sur l’équilibre de deux camps de gauche et de droite, l’élection d’hier semble faire émerger trois familles incarnées par Marine Le Pen, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon. Des familles qui, selon le politologue Jérôme Fourquet, installeraient le clivage non plus entre gauche et droite mais entre France d’en haut et France d’en bas. L’élection de 2022 montrerait-elle que le scrutin de cinq ans plus tôt n’était pas un accident mais le prélude à un séisme politique de grande ampleur ?
Pour cette émission spéciale en partenariat avec Sciences Po, Emmanuel Laurentin reçoit Bruno Cautrès, chercheur CNRS au CEVIPOF, Mathieu Fulla, chercheur au Centre d'histoire de Sciences Po (CHSP) et enseignant à Sciences Po, Florence Haegel, professeure en science politique, directrice du Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po, Fanny Lagarde et Amelle Zitouni, étudiantes à Sciences Po.
Bruno Cautrès met en lumière la recomposition des forces en présence, sans remettre totalement en cause le clivage gauche/droite : "La vie politique française n'est plus seulement organisée par le grand clivage entre la gauche et la droite. Il y a l'idée d'une tripartition de l'espace partisan français. (...) Marine Le Pen se caractérise par une sociologie particulière, une fraction des catégories populaires, une partie de la jeunesse. Il y a un encrage territorial, anthropologique, sociologique, dans la société française. (...) Un des ressorts de Marine Le Pen est de donner un horizon à ceux qui se sentent délaissés. (...) Au-delà des considérations de "vote utile", il y a quand même un ensemble de liens qui continuent d'exister à travers les différentes formes d'électeurs de gauche. Le clivage gauche/droite, de ce point de vue là, n'a pas disparu. (...) Les nouvelles générations sont moins partisanes, moins idéologues, avec un engagement beaucoup plus concret."
Mathieu Fulla note l'adhésion de certaines couches populaires au RN, et l'idée que les partis continuent à jouer un rôle, notamment à l'échelle locale : "La gauche a perdu les classes populaires assez largement. (...) Cette progression de Marine Le Pen dans ces couches populaires s'est faite en continu. (...) On est passés d'une conception traditionnelle de gauche d'égalité, au sens de la justice sociale, à une égalité des chances. C'est un espace dans lequel s'est engouffrée Marine Le Pen. (...) Ces logiques de vote utile ne sont pas propres à cette élection. Quand la gauche est en difficulté, un certain nombre de réflexes des électeurs peuvent jouer. (...) Les partis ne sont pas morts, il faut se pencher sur l'encrage local. Mais en 2022, il y a une accélération de ce qu'il s'est passé en 2017."
Florence Haegel souligne les différentes transformations de l'espace politique français : "Le vrai chaos a sans doute été la dernière élection présidentielle de 2017. Là, on commence à saisir des formes de recomposition, en particulier autour de l'émergence et la stabilisation de l'électorat de Mélenchon. L'absence de la gauche ne pouvait pas être durable. La recomposition passe aussi par la mobilisation de nouvelles générations. (...) Dès la naissance du Front national, ils ont tenté une opération de banalisation. (...) Il y a plusieurs jeunesses, qui sont de plus en plus polarisées. (...) La volatilité électorale est connue depuis longtemps, mais on restait dans son camp. Maintenant, il y a une transformation, les camps sont moins clairs. C'est intéressant de voir s'il y a de la volatilité entre camps."
Fanny Lagarde insiste sur les préoccupations réelles des jeunes, souvent éloignées de l'offre politique française : "L'engagement à notre époque n'est pas seulement par le vote, c'est dans la vie de tous les jours, c'est des actions au quotidien. Les politiques n'arrivent pas à répondre à nos préoccupations. La question du climat est trop peu abordée dans l'élection présidentielle. (...) On veut parler de notre futur, car sans une planète habitable, on n'a plus d'espoir."
Amelle Zitouni met en lumière les nouvelles formes d'engagement des jeunes, qui ont parfois tendance à s'éloigner de la forme d'expression traditionnelle que constitue le vote : "Aujourd'hui, on dépasse le fait de militer pour un parti, une personne, un candidat. Ce qui va vraiment nous réunir, ce sont des causes qui nous paraissent universelles, notamment le climat. C'est ce qu'il manque dans les partis existants pour rassembler encore plus de monde."
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