La France affiche des chiffres élevés de nombre de morts au travail, qui la place parmi les premiers pays de l’UE. Le défaut de prévention, la faiblesse des moyens mobilisés ou encore la méconnaissance des maladies professionnelles empêchent une réelle prise en compte de cet enjeu de santé publique.
- Emmanuel Henry
- Serge Legagnoa Secrétaire confédéral de FO (Force Ouvrière), en charge de la protection sociale collective
- Jean-Christophe Repon Président de la CAPEB (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment), vice-président de l’Union des entreprises de proximité et membre du Conseil économique social et environnemental
Fin avril, la Confédération européenne des syndicats publiait un manifeste dont le but était d’éradiquer les accidents mortels au travail en Europe d’ici 2030. Un but extrêmement ambitieux, particulièrement dans notre pays qui figure en mauvaise place en Europe puisqu'en 2019, 1264 personnes sont mortes au travail, que ce soit en se rendant au travail ou lors de la survenue de maladies professionnelles. Or, les scandales publics liés aux suicides dans certaines entreprises, comme à France Telecom, dont le procès en appel a débuté aujourd’hui, ont montré comment un certain type de management pouvait conduire au suicide des salariés. Pourtant, des secteurs économiques à accidentalité et sinistralité élevées, comme les mines ou la sidérurgie, ont disparu ou perdu de leur importance depuis les années 1980. Or, un quatrième plan santé au travail vient d’être lancé. Peut-on parler d’indifférence vis-à-vis des accidents du travail mais aussi des maladies professionnelles ?
Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Emmanuel Henry, professeur de sociologie à l'Université Paris Dauphine-PSL, Serge Legagnoa, secrétaire confédéral de FO (Force Ouvrière), en charge de la protection sociale collective et Jean-Christophe Repon, président de la CAPEB (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment), vice-président de l’Union des entreprises de proximité et membre du Conseil économique social et environnemental.
Emmanuel Henry met en lumière l'enjeu majeur de santé publique que constituent les accidents du travail, et la faiblesse des dispositifs actuellement mis en oeuvre, à l'origine de nombreuses inégalités : "L'exemple paradigmatique de ce qu'est un non-problème aujourd'hui dans notre société, c'est celui des accidents du travail et des maladies professionnelles. On est face à un problème de santé publique majeur, qui génère de fortes inégalités sociales de santé. (...) On a des politiques visibles, mais les dispositifs effectivement mis en œuvre sont peu protecteurs. (...) Les formes de pénibilité dans le travail ont aussi beaucoup changé. (...) Certains métiers, dont on reconnaît l'importance sociale grâce à l'épidémie de Covid, sont beaucoup plus exposés que d'autres à des risques professionnels. (...) Il y a des inégalités entre les personnes qui sont exposées, et des moindres capacités à se mobiliser, en fonction des ressources sociales pour créer de l'alliance et de l'intérêt chez les journalistes et les politiques."
Serge Legagnoa note le rôle que les branches doivent jouer pour mettre en place de la prévention, afin que les questions de santé et de sécurité passent au premier plan dans les entreprises : "Il y a un manque de prise en charge, d'accompagnement en termes de formation, de procédures, mais aussi des moyens matériels. Les branches ont un rôle important pour faire en sorte que toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, puissent être formées, informées, et avoir les moyens matériels de faire face à ces situations, et mettre en place des réelles politiques de prévention. (...) Dans une entreprise, les questions économiques passent avant les questions de sécurité et de santé au travail. (...) Ce qui est développé dans la branche du bâtiment devrait être développé dans l'ensemble des branches. (...) Il y a une tendance à vouloir faire porter la responsabilité individuelle sur le salarié, car ça évite d'examiner l'aspect collectif et la nécessaire réorganisation d'une entreprise. (...) La prévention coûtera toujours beaucoup moins cher que la réparation."
Jean-Christophe Repon souligne la prévention et les discussions déjà mises en place entre artisans et salariés, et les efforts réalisés pour recruter sur une longue durée : "Nous portons la formation et la prévention haut et fort. (...) On a fait des énormes progrès depuis plus de 50 ans, sur la partie bâtiment. Nous-mêmes, patronat, faisons un effort. (...) Nous essayons de recruter sur la longue durée, et d'avoir de la compétence qu'on garde. (...) On a un travail de fond à faire pour que notre métier soit plus facile, plus attractif et moins pénible. (...) On a donné des outils d'aide à la discussion avec les salariés sur les addictions, la conduite des véhicules. (...) On donne à l'artisan, qui n'est pas souvent au fait de la prévention, une aide à la décision et une discussion possible avec son salarié."
Bibliographie :
- Emmanuel Henry, Soraya Boudia, Politiques de l'ignorance, La vie des idées, PUF, 2022
- Emmanuel Henry, La fabrique des non-problèmes, Ou comment éviter que la politique s'en mêle, Presses de Sciences Po, 2021
- Emmanuel Henry, Ignorance scientifique et inaction publique. Les politiques de santé au travail, Presses de Sciences Po, 2017
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