La campagne pour l’élection présidentielle apparaît moins mobilisatrice que les précédentes. Dans un contexte de crise de la démocratie représentative, quel sens le vote a-t-il aujourd’hui ? Voter est-il toujours un choix ?
- Olivier Christin Historien, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études
- Lou Safra Chercheuse au Laboratoire de neurosciences cognitives de l'Ecole Normale Supérieure
Expression de la souveraineté du peuple, le vote en France , contrairement à la Belgique, n’a rien d’obligatoire. Il est considéré comme le résultat d’un choix conscient et citoyen comme l’est d’ailleurs, parallèlement, l’abstention et donc le non-vote. Il est d’invention récente car s’il est né au Moyen Âge dans les milieux d’Eglise pour choisir le meilleur pour diriger la communauté il ne s’est laïcisé et élargi en France qu’au XVIIIe siècle. Conquête démocratique, il a perdu ces dernières décennies son attractivité auprès des citoyennes et citoyens qui optent pour d’autres formes d’expression politique. Considéré longtemps comme une expression de la raison, il intéresse aujourd’hui les sciences cognitives pour qui les critères de choix sont moins rationnels que ce que l’on affirmait jusqu’alors. Voter est-il toujours un choix ?
Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Olivier Christin, historien spécialiste de l’histoire moderne, professeur à l'Université de Neuchâtel, directeur d’études à l'Ecole Pratique des Hautes Études et Lou Safra, chercheuse en psychologie politique au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF-Sciences Po).
Olivier Christin revient sur l'histoire du vote ainsi que sur les transformations du sens que porte celui-ci : "Au fond, le vote est plutôt une pratique de consensus et d'appartenance, une pratique de reproduction des élites plutôt qu'une pratique de sélection du meilleur. (...) Toute élection est un jugement sur la personne, sur ceux qui votent. Ont-ils bien fait ? Ont-ils été à la hauteur des enjeux ? (...) Très longtemps, plutôt qu'un choix partisan, la vote a été un mode de pérennisation des institutions et de reproduction des élites dirigeantes. Le vote a pour but de restaurer le consensus et pas de fracturer comme c'est le cas aujourd'hui. (...) Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours a tendance à cliver, à personnaliser, à donner l'impression à certains électeurs que leur voix est noyée, ne compte pas. (...) Entre vote et acceptation de la défaite et de la décision, quelque chose s'est noyé."
Lou Safra met en lumière les mécanismes cognitifs qui expliquent les comportements électoraux et remet en cause l'idée que le vote constitue un choix rationnel : "Quand on considère le vote, on a énormément de facteurs qui vont avoir une influence : les institutions, le contexte familial, la tête des candidats... (...) On va choisir la personne qui nous paraît la plus compétente pour réaliser l'activité que le groupe doit réaliser. (...) Dans certaines tâches, c'est assez facile de comprendre quels critères vont être utilisés, mais pour le vote on a quelque chose de beaucoup plus nébuleux car la tâche à accomplir n'est pas si claire que ça. (...) On a un désaccord entre ce qu'on peut imaginer comme un vote raisonné, rationnel, et ce qu'on peut voir en laboratoire. (...) Aujourd'hui, on a une diminution de la perception du vote comme acte de coopération."
Bibliographie :
- Olivier Christin, La cause des autres : Une histoire du dévouement politique, PUF, 2021
- Olivier Christin, Vox populi : Une histoire du vote avant le suffrage universel, Le Seuil, 2014
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