Après quinze ans de règne, Angela Merkel demeure énigmatique. La simplicité de son apparence, la banalité de ses discours, les imprécisions de sa politique parfois ont contribué à faire de la chancelière allemande un écran vierge sur lequel les électeurs ont projeté leurs propres aspirations.
Il est peut-être un peu tôt pour annoncer la mise à la retraite d’Angela Merkel. Elle n’a que soixante-cinq ans dans un pays où la vie active se poursuit souvent au-delà de cet âge. Et les commentateurs qui ont annoncé son départ depuis qu’elle a été élue présidente de la CDU en 2000, puis chancelière fédérale en 2005, ont été régulièrement contredits par les faits. Merkel aime rappeler qu’elle en est à son troisième président américain, à son quatrième président français et à son cinquième Premier ministre britannique…
Mais le renoncement de son héritière désignée à la tête de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK) va ébranler encore un peu plus l’autorité de la chancelière allemande. Merkel, qui l’avait convaincue de prendre la responsabilité du ministère de la Défense, la préparait ouvertement à prendre sa suite à la chancellerie. Cette transition en douceur n’aura pas lieu.
Un revers pour la mini-Merkel
Non seulement AKK a fait preuve de naïveté en tant que chef des armées, mais, la mini-Merkel, comme l’ont surnommée ses adversaires, a été incapable de s’imposer à un parti désormais déchiré entre une tendance centriste et une autre, plus conservatrice. Le coup fourré de Thuringe, où les responsables locaux de la CDU ont manifestement comploté avec ceux de l’AFD pour faire élire ministre-président un libéral du FDP a achevé de décrédibiliser la dauphine d’Angela Merkel.
Les centristes de la CDU, comme Armin Laschet, le ministre-président de Rhénanie du Nord-Westphalie, sont fidèles à la ligne Merkel : pas d’alliance électorale avec les partis extrémistes, ni avec l’AFD à droite, ni avec Die Linke, à gauche.
Mais l’aile droite du parti estime que Merkel, en dérivant vers la gauche, a abandonné l’électorat conservateur à l’AFD. Ses représentants, comme le ministre de la Santé Jens Spahn, ou l’ancien chef du groupe parlementaire CDU, Friedrich Merz, jugent que leur heure est venue. Ils sont bien décidés à rompre avec la ligne Merkel et à repositionner franchement le parti à droite.
Qu'est-ce que le merkelisme ?
Si l’on cherche une preuve du déclin d’Angela Merkel, on le trouvera dans le long article qui lui est consacré dans la revue intellectuelle britannique, Prospect. Philip Oltermann, son auteur, l’a tout simplement titré " Who was Angela Merkel ?" Qu’on puisse parler de la chancelière en exercice au passé en dit long. Merkel, écrit Oltermann, a longtemps incarné la résistance de l’ordre international libéral face à la montée des populismes et des hommes forts qui, comme Orban, se réclament d’une "démocratie illibérale". Obama a semblé lui transmettre le flambeau de la défense des valeurs libérales : multilatéralisme, règne de la loi, ouverture des frontières au commerce, à la circulation des idées et des personnes. Mais la résistance opposée par Merkel a ressemblé, de plus en plus, à de l’inertie. A l’étranger, on a pu prendre son absence de mouvement pour une preuve de fermeté. Mais en Allemagne même, on commence à se lasser de son immobilisme. On est tenté d’ajouter : en France aussi…Le plus étrange, écrit aussi Oltermann, c’est qu’après 15 ans de règne, Merkel demeure une énigme : "Qui est vraiment cette physicienne Ossie, luthérienne et élevée selon des principes socialistes ?" La simplicité de son apparence, la banalité de ses discours, les imprécisions de sa politique ont contribué à faire de la chancelière un écran vierge sur lequel les électeurs ont projeté leurs propres aspirations. Cela fonctionne moins bien, même si Angela Merkel demeure extrêmement populaire dans son pays.
Itinéraire d'une femme modeste
"Le merkelisme, écrit encore Oltermann, est un mélange bizarre de libéralisme et d’étatisme." Son côté libéral se méfie de tout ce qui serait perçu comme une contrainte, une intrusion dans vie quotidienne par ses compatriotes. Mais son côté étatiste est méticuleusement attentif aux ambitions et aux inquiétudes des Allemands. A la différence de certains de ses illustres prédécesseurs, comme Adenauer, Brandt, ou son mentor Kohl, elle n’a jamais prétendu savoir intuitivement "ce que les Allemands désirent réellement", afin de mieux le leur imposer. Cette physicienne de formation gouverne depuis le début aux sondages. Elle en commande en permanence. Afin de prendre le pouls de l’opinion?C’est sur la base de sondages qu’elle a pris les deux décisions capitales de sa carrière : l’abandon programmé de l’énergie nucléaire en 2001, l’accueil d’un million d’immigrés supplémentaires en 2015. Son problème, c’est que l’opinion varie. Ce qui était populaire un jour ne l’est pas nécessairement, lorsque se font sentir les effets des décisions…"Durant la plus grande partie de son règne, ses conceptions ont coïncidé avec celles d’un pays qui estime mériter des vacances à l’écart des drames de la grande histoire qui se sont déroulés au XXe siècle, au prix de tant de ruines sur son sol", écrit Philip Oltermann. Du coup, elle a accompagné les évolutions du pays qu’elle gouvernait, même quand ces évolutions contredisaient ses propres convictions – comme la légalisation du mariage homosexuel en 2017. En fait, une expression résume 15 années de politique à la tête de l’Allemagne : "she muddled through". Elle s’en est sortie, elle a fait de son mieux, elle s'est dépatouillée… Merkel ou l'itinéraire d'une femme modeste, placée, un peu par hasard, à la tête de la première puissance économique de l'Union européenne ?
par Brice Couturier
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