En Europe centrale, la fidélité au Parti et à son chef, remplace à nouveau la compétence, comme moyen d'accéder au sommet.
On dit parfois : si l’Europe centrale s’écarte des normes européennes, c’est parce que son expérience de la démocratie est insuffisante. Qu'en est-il ?
C’est vrai que, dans cette partie de l’Europe, l’on a connu successivement les deux variantes – fasciste et communiste – du totalitarisme. Elles étaient terriblement exigeantes : l’enthousiasme y était obligatoire. Elles pratiquaient un contrôle intégral de la culture, la politisation de l’information et la terreur policière.
Les nouveaux autoritarismes d’Europe centrale sont beaucoup plus légers. Ils ne demandent pas aux gens de pratiquer la double-pensée et de trouver merveilleuse et pleine de promesses la réalité sordide qu’ils ont sous les yeux, ni de proclamer que la guerre, c’est la paix ou que l’esclavage, c’est la liberté. La propagande qu’ils déploient ne contraste que marginalement avec la réalité. Ils demandent seulement à leurs affiliés de croire au "mensonge de taille moyenne" sur lequel repose leur doctrine. De le colporter et d’être absolument fidèle au parti et à son chef.
Et c’est là que la ressemblance avec les partis totalitaires est un peu plus nette. Le système démocratique libéral, écrit Anne Applebaum, est fondé sur l’idée d’une compétition ouverte. Le pluralisme des opinions et des programmes est de règle. Le parti qui présente le programme le plus crédible l’emporte et l’applique. C’est un système libéral en politique qui a son équivalent nécessaire sur le plan économique : le consommateur choisit librement entre des produits qui lui sont offerts et l’entreprise qui fait la meilleure offre l’emporte sur ses concurrentes.
En ce qui concerne la sélection d’une élite, qui existe dans tous les systèmes politiques, qu’ils soient démocratiques ou non, fonctionne le même procédé « _la compétition__,_ écrit-elle, est juste le moyen le plus efficace de distribution du pouvoir. » Les démocraties libérales sont méritocratiques.
Recrutement des élites : compétence ou fidélité ?
Or, le système du parti-Etat de type léniniste qu’ont connu les pays d’Europe centrale est fondé sur un principe complètement différent. L’Etat communiste refusait la concurrence et il combattait la méritocratie. L’accès à l’université était limité ou interdit aux enfants des anciennes classes dirigeantes, quels que soient leurs résultats dans le secondaire. L’accès aux postes de direction dans l’administration et la production était réservé à des individus sélectionnés non pas pour leur compétence, mais pour leur fidélité au Parti et leur obéissance.
Hannah Arendt a écrit : « Invariablement, l’Etat à parti unique remplace les talents les plus éminents, quelles que soient leurs sympathies, par des cinglés et des crétins dont le manque d’intelligence et de créativité est précisément la meilleur garantie de fidélité. »
L’Etat et le Parti unique recrutaient leurs dirigeants au sein du même groupe de fidèles – la nomenklatura. L’idée d’une fonction publique indépendante, au service d’un Etat neutre, sur le modèle libéral, apparaissait comme une aberration bourgeoise. C’est là que les partis illibéraux centre-européens, tels que le FIDESZ hongrois et le PiS polonais présentent des traits communs avec ces partis d’autrefois.
La revanche des médiocres au nom de l'authenticité nationale...
Oui, car s’ils tolèrent l’existence de partis d’opposition, ils leur dénient le droit de représenter la « nation authentique », les « vrais Polonais » et les « Hongrois véritables ». Aussi s’évertuent-ils à restreindre la libre concurrence entre les partis et les entreprises ainsi que la compétition ouverte entre les personnes pour l’accès aux responsabilités. Ils ne croient pas davantage à la neutralité des fonctionnaires qu’à celle des journalistes. Ils veulent des fidèles, des esprits engagés.
En réalité, ce qui se passe dans ces pays, Anne Applebaum ne va pas jusqu’à l’écrire, mais elle le suggère, c’est une revanche des médiocres. Au nom d’une prétendue « supériorité nationale » - « nous sommes une meilleure sorte de Polonais », dit Kaczynski – ces partis combattent la méritocratie libérale et s’empressent de la remplacer aux postes de commandement de l’Etat.
Neutralité de la fonction publique ?
Confidence personnelle : en Pologne, je travaillais pour l’ambassade de France. J’avais été recruté pour enseigner en français à la Krajowa Szkola Adminstracji Publicznej (KSAP). J’y avais un double rôle : prôner la langue française, la pensée politique française, les méthodes administratives françaises. Mais je devais aussi rendre régulièrement des rapports sur la neutralité politique de l’école. Le gouvernement qui l’avait créée, lui avait confié, avec un certain humour, les locaux de l’ancienne Ecole des cadres du Parti communiste. Le soutien matériel de la France était conditionné à un haut niveau de neutralité, non seulement dans l’enseignement, mais dans l’attribution des postes de responsabilité dans l’appareil de l’Etat, à la sortie de l’Ecole.
Qu’en est-il aujourd’hui, avec le pouvoir actuel ? Si j’ai, sur place, un successeur et qu’il m’entend, je serais curieux de recueillir son témoignage…
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