L'historien et producteur d'émissions d'histoire Tom Holland parcourt à grandes enjambées deux mille ans d'histoire occidentale : il y voit le christianisme à l'oeuvre partout.
Pourquoi les historiens britanniques font d'excellents animateurs de radio.
Les Anglais ont toujours aimé la radio et l’histoire. Autant que j’ai pu en juger sur place, la radio occupe dans un foyer britannique une place assez différente de celle qu’elle tient en France. Ce n’est pas quelque chose qu’on écoute, énervé, dans la salle de bains, en se brossant les dents, mais un hôte qu’on accueille dans le salon, près du canapé. Surtout lorsqu’il s’agit de BBC4, l’équivalent de notre France Culture. Une radio qui parle. Et donc que l’on écoute. De très célèbres historiens britanniques n’ont pas jugé indigne de leurs lumières l’animation d’émissions ou la confection de documentaires radiophoniques. C’est une tradition illustrée notamment par le célèbre AJP Taylor (1906-1990). Célèbre au Royaume-Uni, en tous cas.
Ce n’est probablement pas sans rapport avec l’appétence des historiens de cette origine pour les vastes fresques, enjambant les siècles et les continents. Tendance qu’Arnold Toynbee a poussée à son extrême limite en recherchant des lois générales du développement des civilisations et de leurs échanges. Pour avoir une chance d’intéresser un assez vaste public, il vaut mieux ne pas limiter ses recherches à un thème trop restreint. Les chevauchées à bride abattue à travers les siècles et les empires sont plus radiophoniques que les focus exclusifs sur une question à une époque dans une région.
De nos jours, Tom Holland (à ne pas confondre avec son homonyme, jeune acteur de 23 ans ayant récemment incarné Spiderman dans un film récent de Jon Watts) correspond à ce profit. C’est un historien de métier, dont le talent est reconnu par ses pairs (il a reçu de nombreux prix littéraires) et, en même temps, le présentateur d’une émission régulière de BBC 4, « Making History ». C’est leur Xavier Mauduit, si vous voulez. Même si le titre de son émission rappelle davantage La fabrique de l’histoire, présentée jusqu’à la dernière saison, par Emmanuel Laurentin. Il est reconnu en particulier comme un bon connaisseur de l’Antiquité et du Moyen Age. Il a publié de nombreux ouvrages. Son livre consacré à l’An mille, Millenium, a remporté un grand succès. Des sommes, en général. Récemment traduit en français : A l’ombre de l’épée. Naissance de l’islam et grandeur de l’empire arabe.
Selon Tom Holland, la pensée chrétienne nourrit sourdement la plupart de nos idées modernes.
Or, Tom Hollland vient de publier un nouveau livre, consacré, cette fois à deux mille ans de christianisme ; Dominion. Son sous-titre livre l’essentiel de son propos : The Making of the Western Mind. La fabrique de l’esprit occidental. La thèse défendue par l’historien, en effet, est que toute la pensée de l’Occident, dans son développement même, a le christianisme pour fondement. Et, d’après les critiques, cette thèse est d’autant mieux défendue que Holland est un excellent connaisseur des mentalités de l’Antiquité. Il peut ainsi contraster fortement nos mentalités modernes à celles qui prévalaient dans l’Antiquité. Selon lui, les hommes de l’Antiquité pouvaient éventuellement défendre des formes d’humanisme, comme les Grecs anciens, mais ils ne valorisaient pas la personne, ni la vie humaine comme nous le faisons. La vie humaine avait, à leurs yeux, assez peu de valeur. L’éthique de l’héroïsme, la vertu civique l’emportaient sur la conservation de l’existence.
L’idéologie dominante, de nos jours, les droits de l’homme, serait l’aboutissement de l’idée chrétienne de sacralisation de la personne humaine. Alors même que le christianisme, sur lequel était étayée la culture occidentale, tend à se diluer inexorablement.
Le paradoxe, sur lequel s’attarde Tom Holland, c’est que le fondateur de cette religion, le Christ lui-même, a été tué dans les conditions considérées, en son temps, comme les plus infâmes : la crucifixion était réservée à la lie des délinquants. « Comment se fait-il que l’exécution d’un obscur délinquant dans un empire disparu depuis très longtemps ait pu exercer _une influence aussi décisive et durable sur le monde__, au point de_ le transformer ? » Telle est la question.
Faire de la Révolution bolchevique un produit dérivé du christianisme, n'est-ce pas pousser le bouchon un peu loin ?
Pour parcourir deux mille ans d’histoire, notre auteur découpe son sujet de manière assez radiophonique. Ses chapitres sont autant de sujets d’émissions possibles. Il sélectionne un incident, un lieu, une image qui lui semble résumer l’esprit d’une époque et commente de manière érudite et vivante à la fois. Il procède par petits sauts temporels pour montrer le développement d’une doctrine dont il n’a pas de mal à prouver qu’elle a été lente à trouver sa formule définitive : Tom Holland passe pour expert en théologie. La mystique qui dominait le christianisme originel a été assez rapidement délaissée au profit d’une organisation rationnelle, assurant à l’Eglise catholique la puissance temporelle.
Les critiques semblent estimer que Tom Holland pousse sa théorie un poil trop loin, notamment lorsqu’il crédite le christianisme d’avoir permis l’éclosion de l’esprit critique et de la science. « L’esprit occidental », écrit ainsi Jonathan Sumption, dans The Spectator, est basé sur « le rejet de l’autorité révélée et la confiance envers l’enquête empirique ». Faire des savants, victimes de l’Inquisition du temps, des champions de l’esprit chrétien est quelque peu paradoxal, en effet…
Par contre, discerner des sources chrétiennes dans un certain nombre de révolutions politiques – y compris dans certaines d’entre elles, expressément tournées contre les institutions ecclésiastiques, n’est pas absurde. Sans aller jusqu’à la thèse d’une métamorphose des religions spirituelles en religions politiques, Tom Holland estime que la recherche d’amélioration personnelle, de reformatio – qui donne aussi Luther – a pu inspirer les mouvements révolutionnaires, tels que ceux de France à la fin du XVIII° siècle, ou de Russie au début du XX°.
"Rêver d’un monde transformé par une réformation, des Lumières, ou une révolution," écrit Holland, n’est pas l’exclusivité de la modernité. C’est plutôt rêver comme les visionnaires médiévaux : rêver à la manière d’un chrétien. "
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