Chine/États-Unis : vers la guerre, vraiment ?

La rivalité Chine/Etats-Unis oppose-t-elle démocratie libérale et autocratie néo-communiste, ou s'agit-il de tout autre chose ?
La rivalité Chine/Etats-Unis oppose-t-elle démocratie libérale et autocratie néo-communiste, ou s'agit-il de tout autre chose ? ©Getty - Yaorusheng
La rivalité Chine/Etats-Unis oppose-t-elle démocratie libérale et autocratie néo-communiste, ou s'agit-il de tout autre chose ? ©Getty - Yaorusheng
La rivalité Chine/Etats-Unis oppose-t-elle démocratie libérale et autocratie néo-communiste, ou s'agit-il de tout autre chose ? ©Getty - Yaorusheng
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Commerciaux, technologiques, géostratégiques, ces aspects de la rivalité qui oppose de longue date la Chine et les Etats-Unis sont bien connus. La pandémie de Covid-19 lui a donné un tour plus idéologique, opposant démocratie libérale et autocratie néo-communiste. Mais s'agit-il vraiment de cela ?

La rivalité entre Washington et Pékin a récemment pris un tour plus idéologique au travers de la lutte contre la pandémie. Notamment depuis que Pékin exploite ses succès sur ce front. Commerciale, technologique et géostratégique, cette ancienne rivalité se double désormais d'une concurrence entre deux modèles politiques, incarnés par ces deux hyper-puissances. Mais contrairement à ce que l'on peut penser de prime abord, la rivalité entre Pékin et Washington n'oppose pas le modèle autocratique au modèle libéral : en effet, ni la Chine ni les Etats-Unis ne sont typiques de l'un ni de l'autre.

Une hégémonie américaine dépassée

Le bref moment de l’hégémonie américaine est désormais derrière nous. Les Etats-Unis observent avec inquiétude la montée en puissance de la Chine sur tous les plans : économique, technologique et militaire. Mais ce qui les préoccupe le plus, c’est peut-être la concurrence que le modèle politique chinois – autoritaire et centralisé, oppose au leur – pluraliste et libéral. 

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La manière dont la Chine a réglé le problème du Coronavirus, pourtant né sur un marché de Wuhan, impressionne le monde entier. En dix jours, les autorités ont testé les onze millions d’habitants de la ville. Le virus y est éradiqué. Pékin brandit ce nouveau succès comme une preuve de la supériorité de son mode d’exercice du pouvoir. En face, la manière chaotique dont l’administration Trump a traité la crise sanitaire peut en effet servir de contre-exemple. Le virus a déjà tué 236 000 personnes aux Etats-Unis. 

Il ne faut pas se laisser abuser par la propagande de Pékin, écrit Yuen Yuen Ang, un professeur de Ann Arbor, dans le Michigan. D’abord la Chine n’est pas le seul Etat à avoir triomphé du virus. Plusieurs autres pays ont obtenu des résultats encore plus spectaculaires. Et beaucoup d’entre eux sont d’authentiques démocraties. Nouvelle-Zélande : 25 morts. Taïwan : 7 décès. Corée du Sud : 466. 

Ensuite, même si la Chine connaît un "revival autoritaire" avec Xi Jinping, le décollage économique spectaculaire du pays qu’il dirige aujourd’hui doit beaucoup à la libéralisation menée par ses prédécesseurs et déclenchée par Deng Xiaoping. Deng a "neutralisé les périls de la dictature en injectant dans sa bureaucratie des caractéristiques démocratiques", écrit Yuen Yuen Ang. Les dirigeants doivent rendre des comptes, même s'il n'existe pas d'élections libres, ni de multipartisme en Chine. Quant à la démocratie américaine, elle sort en bien triste état de quatre années de trumpisme ; elle présente aujourd’hui des traits illibéraux. 

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La stratégie chinoise des "campagnes", héritée du maoïsme

Les caractéristiques autoritaires et monolithiques du pouvoir chinois lui viennent de ses origines révolutionnaires. Mais ce que Pékin présente comme un avantage – cette capacité à mobiliser l’énorme appareil du parti unique pour encadrer la vie économique et sociale – présente des faiblesses. Les politiques sont menées sur le mode des "campagnes" maoïstes, mobilisant toutes les ressources en vue d’un objectif à atteindre à tout prix. "Concentrer nos forces pour parvenir à de grandes choses", dit Xi Jinping. 

Mais pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés, nombre de responsables sont tentés de falsifier leurs résultats. En outre, ce type de "campagnes", nécessitant des mesures extrêmes, ont tendance à créer de nouveaux problèmes, mal perçus sur le moment. 

Il serait donc erroné de considérer la rivalité entre les Etats-Unis et la Chine sous l’angle d’une concurrence entre démocratie libérale et autocratie néo-communiste. 

Des superpuissances sur la pente de la guerre, en mode somnambule ?

Dans un article qui vient de paraître dans Foreign Affairs, l'universitaire américain Christopher Layne, appartenant au courant néo-réaliste, met en garde contre la tendance récente du Département d’Etat à surcharger d’idéologie la montée des tensions entre Pékin et Washington. La Chine n’est pas l’URSS et ne cherche pas à exporter le communisme. Mais écrit-il, "sa trajectoire de super-puissance va provoquer, dans le monde, un regain d’attraction pour l’autocratie"

Comme beaucoup d’autres commentateurs, Layne dresse un parallèle avec la pente fatale qui mena la Grande-Bretagne et l’Allemagne vers l’issue fatale de la guerre de 14, "en somnambules", selon l’expression de l’historienne Margaret MacMillan. Comme les Anglais alors, les Américains voient leur rival chinois accéder au rang de compétiteurs irrésistibles. Et ils plaquent sur cet antagonisme les récents souvenirs de la guerre froide qui les a opposés à l’URSS. Or cela n’a rien à voir.

Fictions / Le Feuilleton

Cette fois, la guerre n'est pas inimaginable...

Les Etats-Unis et l’URSS ont évité l’affrontement militaire pour deux raisons principales :

  • La dissuasion nucléaire : tout conflit armé entre les deux puissances aurait presque inévitablement débouché sur l’anéantissement mutuel. La guerre était donc impensable.
  • Leurs zones d’influence respective sur le terrain européen étaient clairement délimitées et respectées.

Il en va tout autrement sous nos yeux entre Washington et Pékin. La guerre n’est pas inimaginable, puisque la miniaturisation et la sophistication des armes nouvelles peut provoquer une "guerre nucléaire limitée". Le terrain d’affrontement est le Sud-Est asiatique, où la Chine entend établir son hégémonie, en en évinçant les Américains. Les points chauds : les deux Corées et Taïwan.

Les références historiques des Chinois ne sont pas celles des Américains. Là où ces derniers s’en rapportent aux thèses géostratégiques de Mackinder, selon qui la puissance qui domine le heartland eurasiatique obtient l’hégémonie mondiale, Pékin pense d’abord à prendre sa revanche sur " le siècle d’humiliation" que lui ont infligé, les Britanniques et les Français dans la deuxième moitié du XIXe siècle, et les Japonais dans la première moitié du XXe. 

La "ligne Deng Xiaoping", "modernisation et ouverture", consistait à s’intégrer à l’ordre mondial voulu par les Américains en vue de parvenir à une prospérité qui permet, aujourd’hui à la Chine, d’acquérir une puissance militaire considérable. Mais les Américains n’ont pas compris qu’elle n’avait pas rejoint le système mondial afin d’y contribuer, en en acceptant les règles, mais dans le but de le défier de l’intérieur. 

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