Chine : La culture sang ou le blues de la Génération Y

Pression scolaire, hyper compétitivité, course à la réussite individuelle effrénée : les Millennials chinois vont-ils finir par se rebeller contre le modèle de société que leur impose l'idéologie du régime?
Pression scolaire, hyper compétitivité, course à la réussite individuelle effrénée : les Millennials chinois vont-ils finir par se rebeller contre le modèle de société que leur impose l'idéologie du régime?  ©Getty - Zhang Peng/LightRocket
Pression scolaire, hyper compétitivité, course à la réussite individuelle effrénée : les Millennials chinois vont-ils finir par se rebeller contre le modèle de société que leur impose l'idéologie du régime? ©Getty - Zhang Peng/LightRocket
Pression scolaire, hyper compétitivité, course à la réussite individuelle effrénée : les Millennials chinois vont-ils finir par se rebeller contre le modèle de société que leur impose l'idéologie du régime? ©Getty - Zhang Peng/LightRocket
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La Chine déploie de grands efforts pour inculquer à sa jeunesse un sentiment patriotique puissant, ainsi que la volonté de réussir sur le plan individuel. Une propagande qui se heurte à une génération désabusée, lassée de la course au succès. De la à y voir une forme de résistance passive...

"Quand les Millennials chinois vont-ils finir par se rebeller ?" Telle est la question que pose la journaliste britannique Mary Harrington dans un article publié sur le site UnHerd. Sous la dictature maoïste, explique-t-elle, la société chinoise était organisée en unités de travail administratives, ou danwei. Et chacune était censée prendre en charge tous leurs employés, les loger, les nourrir, éduquer leurs enfants et leur fournir des soins de santé élémentaires, en échange d’une étroite surveillance politique. Les Chinois étaient extraordinairement pauvres, mais au moins l’Etat, unique employeur, garantissait à chacun un emploi. 

Une jeunesse soumise à l'hyper compétitivité promue par un régime autoritaire

En 1978, Deng Xiao Ping mit fin à ce système, afin de faire de la Chine une puissance économique. Et le succès a dépassé toutes les espérances. 850 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté. Une énorme classe moyenne s’est développée. Au cours des deux dernières décennies, le PIB chinois a cru en moyenne de 6 % par an, contre 1,4 % en Union européenne.

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Mais la Chine, qui était une dictature égalitariste est devenue un Etat autoritaire hyper-compétitif. Les universités pratiquent une sélection draconienne. Et la société chinoise étant méritocratique, le diplôme universitaire est le sésame nécessaire, mais pas suffisant pour toute grande carrière. Mais même une fois leurs diplômes en poche, les jeunes Chinois doivent courir de stage en stage, alors même que, dans les grandes métropoles, comme Pékin, les loyers sont hors de prix. Du coup, écrit Mary Harrington, les relations personnelles sont déterminantes. Les gagnants de cette terrible course d’obstacles, parce qu’ils ont fait fortune, deviennent des célébrités. Mais les perdants sont, de loin les plus nombreux. Et ils lancent des modes qui rappellent beaucoup celles qui inspirent les Millennials en Occident. Il y a ainsi une jeunesse bouddhiste adoptée par ceux qui ont le sentiment d’être simplement moyens.

Revue de presse internationale
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La culture sang, ou le blues de jeunes Chinois

Mais de plus en plus de jeunes se reconnaissent dans ce qu’on appelle la " culture Sang", sang signifiant découragé, rejeté. Un équivalent de ce que les Américains nomment "Failson Culture", la mode des fils ratés, incompétents, protégés des difficultés de la vie par des parents financièrement à leur aise et qui passent leur temps sur leurs écrans. Un retrait de la vie sociale qui ne témoigne pas d’une aspiration à une vie authentique, comme au temps des hippies, mais une « apathie morose qui répond de manière sardonique aux exhortations de Xi à amener son "énergie positive"» dans la Chine dynamique. Le Thé Sang, qui surfe sur cette tendance, a pour slogan "une tasse d’énergie négative quotidienne". Et l’un de ses produits-phares est un thé baptisé "Mon ex-girlfriend épouse un jus de citron dont les parents sont blindés". 

Certains jeunes s’exilent dans des villes moyennes où la pression est moins forte et y pratiquent un style de vie qui rappelle celui des hipsters. D’autres laissent carrément tout tomber et s’en vont vivre en communautés dans les montagnes. 

Le Journal de l'histoire
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Des évolutions sociétales profondes

"Millennials de tous les pays, unissez-vous !" Cela pourrait être le slogan de cette génération née entre le début des années 1980 et la fin des années 90. Ils présentent nombre de traits communs. Ils sont exposés à une concurrence épuisante, ils passent leur vie rivés à leurs écrans, ils voient les opportunités de gagner correctement leur vie se rétrécir, alors que la consommation les sollicite comme aucune génération avant la leur. Aux Etats-Unis, ils sont woke, mais en Chine, cela se traduit par un apolitisme et un pessimisme particulier. 

Le Billet culturel
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L’autre évolution spectaculaire concerne la famille. L’urbanisation accélérée et la politique de l’enfant unique, imposée durant des décennies par le régime ont réduit considérablement la taille de la structure familiale. L’ancienne famille multigénérationnelle qui dominait dans les campagnes a fait place à la progression rapide, en ville, du nombre de célibataires et de couples sans enfant. Il est possible que les périodes de forte croissance soient propices aux divorces. En Chine, la loi rendait le divorce très difficile jusqu’en 2013 ; mais depuis, leur nombre augmente rapidement. Mais ce qui est frappant, c’est que les évolutions qu’on constate en Occident, et qu’on attribue à l’évolution spontanée des mœurs, a ses équivalents en Chine, où elles sont provoquées de manière centralisée et autoritaire par le parti-Etat. Certes, le Parti communiste chinois entend lutter contre le relâchement des normes sociales et la féminisation des garçons. Mais cela peut-il avoir un réel effet sur l’attitude des jeunes ?

Une forme de résistance passive à l'endoctrinement idéologique

Le gouvernement a déployé de très grands efforts de propagande pour inculquer à la jeunesse chinoise des sentiments patriotiques puissants, ainsi que la volonté de réussir sur le plan individuel. Mais la culture "sang" montre qu’il existe des forces spontanées qui vont dans un sens tout autre… Le soutien du régime reste élevé et "_le président Xi conserve le mandat du ciel, nonobstant quelques buveurs de thé mécontents et habitants de commune_s " écrit encore Mary Harrington. Mais si jamais la croissance qui a provoqué l’enrichissement spectaculaire des Chinois venait à caler, il faudrait rapidement trouver autre choses pour susciter la solidarité parmi les jeunes Chinois. Le reste du monde devrait y prêter attention, parce que cet autre moyen, c’est la guerre…

Le Reportage de la rédaction
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