Comment commémorer la mort de Napoléon ?

Alors qu’approche la date du 200e anniversaire de sa mort, les Français semblent embarrassés par la figure complexe de Napoléon Bonaparte. Que peut faire la France contemporaine de cet encombrant héritage ?
Alors qu’approche la date du 200e anniversaire de sa mort, les Français semblent embarrassés par la figure complexe de Napoléon Bonaparte. Que peut faire la France contemporaine de cet encombrant héritage ?  ©Getty - Hulton Archive
Alors qu’approche la date du 200e anniversaire de sa mort, les Français semblent embarrassés par la figure complexe de Napoléon Bonaparte. Que peut faire la France contemporaine de cet encombrant héritage ? ©Getty - Hulton Archive
Alors qu’approche la date du 200e anniversaire de sa mort, les Français semblent embarrassés par la figure complexe de Napoléon Bonaparte. Que peut faire la France contemporaine de cet encombrant héritage ? ©Getty - Hulton Archive
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Héros français ou despote ? Dans quels termes la France va-t-elle célébrer le 200e anniversaire de la mort de Napoléon Bonaparte ? Un journaliste britannique prétend souffler quelques idées au chef de l'Etat, en rappelant dans un article récent toute la complexité du personnage historique.

Alors qu’approche le 200e anniversaire de sa mort, le 5 mai, les Français semblent assez embarrassés de l’homme qui leur offrit l’Europe. Que peut faire la France contemporaine de cet encombrant héritage ? Le président de la République lui-même semble hésitant sur l’opportunité de se prêter à une de ces célébrations mémorielles qu’il affectionne pourtant, tandis qu'une puissante campagne d’opinion tend à refuser toute espèce de commémoration, la question de l’esclavage étant devenue, ces dernières années, centrale dans la mémoire nationale. 

Que peut faire la France de 2021 de l'héritage napoléonien ?

Ainsi, comme le constate le journaliste britannique John Lichfield, longtemps correspondant à Paris du quotidien britannique The Independent, dans un récent article paru sur le site Unherd, la dépouille de Napoléon Bonaparte, dans son splendide tombeau de marbre des Invalides, semble bien encombrante à la France du XXIe siècle. Si l’empereur a rétabli l'esclavage aux Antilles, en 1802, l’ambivalence des Français envers Napoléon a bien d’autres causes.

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Evidemment, Napoléon Ier demeure associé à l’une des époques les plus glorieuses de la Grande Nation. Mais il est aussi considéré, non sans raison, comme un massacreur, dont les ambitions insatiables ont coûté la vie à des centaines de milliers d’hommes en Europe. Chirac, qui le détestait, a refusé qu’on célèbre le bicentenaire d’Austerlitz.

Napoléon : génie visionnaire, despote ou charlatan ?

Mais doit-on le considérer, demande Lichfield, comme le père des temps modernes, ou comme un despote à l’ancienne ? Un génie ou un charlatan ? Un visionnaire, pressentant la nécessité impérieuse de l’unité européenne ou le fossoyeur de l’avance française, incapable de préparer son pays à la révolution industrielle qui pointait déjà en Angleterre ?

Macron, à la différence de Chirac, ne déteste pas Napoléon. Il est convaincu que "l’Etat doit faire quelque chose". Mais si le président français n’est pas homme à abattre des statues, il n’est pas non plus un porteur de drapeau. Il fera probablement un de ces discours qu’il affectionne, afin de réexaminer l’héritage napoléonien. 

Mais, ajoute aussitôt le journaliste britannique, pour nous autres aussi, ce devrait être une occasion de repenser notre haine de l’empereur. On dit que Napoléon était obsédé par l’Angleterre, mais deux siècles après, les Anglais demeurent obsédés par Napoléon. La British Library conserve 13 000 volumes consacrés à l’empereur français. 

Un dirigeant moderne qui a légué à la France plusieurs de ses institutions

Voilà les pistes qu’en tant que sujet britannique, je propose au président français, pour son discours du 200e anniversaire.
John Lichfield. 

Par un côté, Napoléon fut une figuretrès moderne. Un dirigeant à fort bien comprendre le rôle de l’image et de la communication. Parti de rien, sans fortune, il s’est réinventé plusieurs fois avant de se couronner lui-même empereur à 35 ans. La preuve, en 1796, alors qu’il avait à peine 27 ans, mais qu’il était déjà général, grâce à la Révolution, Bonaparte crée deux journaux, chargés de célébrer ses exploits en Italie. Après s’être emparé du pouvoir par un coup d’Etat en 1799, il emploie une équipe d’écrivains et d’historiens pour célébrer son génie militaire. Exilé à Sainte-Hélène, il n’oublie pas de forger sa propre légende posthume, en dictant ses fameuses mémoires à Las Cases. Il s’y présente comme un homme de paix et un grand Européen. 

Il fut, certes, certes un opportuniste, mais ses motivations politiques ne manquaient pas de sincérité : il était persuadé d’être le seul acteur capable de sauver l’essentiel de la Révolution en la stabilisant. Il croyait sincèrement en l’égalité et considérait avec mépris les séquelles de féodalité qui subsistaient en Europe. 

Les institutions qu’il avait conçues se sont révélées bien plus durables que son propre pouvoir. L’historien américain Robert B. Holtman a écrit du Code Napoléon que c’est l’un des rares documents qui ont changé la face du monde. Succédant à la Magna Carta et textes fondateurs de la démocratie américaine, il a marqué une étape décisive vers la création de ce que nous appelons aujourd’hui l’Etat de droit. Il demeure la base des lois civiles dans la plupart des pays d’Amérique latine. Partout où passaient ses armées, Napoléon remplaçait les vieilles lois féodales par son fameux code, moderne et rationnel. Ce n’est pas par hasard, écrit Holtman, que la bourgeoisie l’a suivi et que l’aristocratie le détestait. Il était moderne. 

Un authentique Européen, paradoxalement responsable d'une série de guerres franco-allemandes

Napoléon Bonaparte fut à la fois une brute, insensible au sang versé, un maniaque de la volonté, et en même temps le premier authentique Européen de l’époque moderne. Il n’a cessé de poursuivre le but de créer une Europe sans frontière et d’y mettre fin à ce qu’il considérait comme des "guerres civiles". C’est pourquoi il lui fallait à tout prix défaire la "perfide Albion", afin d’imposer un "système continental" excluant les îles britanniques. Mais peut-être est-ce un mythe, inventé à Sainte-Hélène… Car il eut cette possibilité de créer un système européen et il l’a gâchée. 

Après Austerlitz, Talleyrand lui suggérait, à cet effet, de ménager l’Autriche et de promouvoir la paix dans une Europe épuisée. Les Anglais seuls ne pouvaient pas faire obstacle à ses projets. Mais Napoléon I° imposa une paix humiliante à l’empereur Habsbourg, soumit l’Italie et détruisit ce qui subsistait du Saint-Empire. Ce faisant, il suscitait des haines nationales qui allaient empoisonner les relations franco-allemandes durant un siècle et demi. 

L'incarnation du principe méritocratique moderne

Après sa mort, ses ennemis en firent un nain sadique, trichant aux échecs. Mais ce qui faisait peur à toutes ces cours princières et aux aristocraties encore en place, c’étaitle principe méritocratique qu'il avait incarné : c’était l’homme qui n’avait dû sa puissance qu’à lui-même, à son talent, à sa volonté. 

Que dira Macron ? Célèbrera-t-il un héros français ou le dictateur sanguinaire ? Aucune grande figure historique n’est absolument impeccable. Et Emmanuel Macron a raison de penser que célébrer l’empereur est "quelque chose de complexe"

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