Conseils pratiques tirés de "Jouer sa peau"

Taleb, l'auteur de "Jouer sa peau".
Taleb, l'auteur de "Jouer sa peau". ©AFP - LEONARDO CENDAMO / LEEMAGE
Taleb, l'auteur de "Jouer sa peau". ©AFP - LEONARDO CENDAMO / LEEMAGE
Taleb, l'auteur de "Jouer sa peau". ©AFP - LEONARDO CENDAMO / LEEMAGE
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La véritable inégalité n'est pas qu'il y ait des riches et des pauvres. Mais que ce soit toujours les mêmes.

Dernière chronique consacrée au livre de Nassim Nicholas Taleb, « Jouer sa peau ».  Tout best-seller, aux Etats-Unis, se doit de comporter un minimum de recettes, de trucs « pour se sentir bien dans sa peau », ou encore faire de vous un milliardaire. J'extrais donc ce livre quelques conseils pratiques

Tout le livre développe l’idée selon laquelle on ne peut faire confiance qu’aux gens qui assument les conséquences de leurs actes, plutôt que de tenter de s’en débarrasser sur la collectivité. On ne s’étonnera donc pas d’y lire la maxime commerciale suivante : « Les produits ou les sociétés qui portent le nom de leur propriétaire véhiculent un message très important. Elles crient qu’elles ont quelque chose à perdre. » Il aurait pu citer le Huffington Post, devenu l’un des grands succès éditoriaux d’Internet. On a fini par oublier que son nom lui vient de sa fondatrice, Arianna Huffington. 

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Vous vous souvenez de la thèse selon laquelle ce n’est pas la majorité qui impose ses normes, mêmes dans une démocratie, mais les minorités intolérantes, face auxquelles les majorités font preuve de tolérance et de flexibilité. Hé bien, elle a des conséquences sur un domaine que Taleb connaît de près pour l’avoir pratiqué – les marchés financiers. Ceux-ci, écrit-il ne se comportent pas comme s’ils reflétaient les préférences de la totalité des acteurs. L’erreur est de croire qu’ils incarnent, à un moment donné, « la somme des individus moyens ». Non, « les changements de prix reflètent les activités du vendeur ou de l’acheteur les plus motivés d’un marché. » Ainsi suffit-il d’un seul et unique acheteur têtu pour provoquer un mouvement d’ampleur. Conclusion : ce sont ces acteurs hyper-motivés qu’il faut surveiller, si on veut comprendre le sens que va prendre un marché. Et cette règle est valable dans des domaines bien éloignés du petit monde des spéculateurs. Sur le front du marché idéologique, par exemple…

La liberté est toujours associée à la prise de risques. Cette liberté marque de son empreinte les grands preneurs de risques. Ils apparaissent comme imprévisibles à ceux qui n’en prennent pas. Aussi un certain degré de désinvolture envers les codes d’un milieu socio-professionnel sert-il à démontrer qu’on a une telle certitude d’exceller dans son domaine qu’on n’a rien à prouver à ses pairs et encore moins à ses supérieurs hiérarchiques. Il note : les oligarques moscovites arrivent en jeans à des événements spéciaux pour indiquer leur puissance. 

Autre conseil : S’inspirer, pour lutter contre le terrorisme du Code d’Hammourabi, qui transférait la responsabilité d’une faute d’une génération à l’autre. Recommandation de Taleb : « faire supporter un fardeau financier aux familles des terroristes. » Leur propre vie les indiffère. Pas le sort de ceux qu’ils laissent derrière eux et l’image que ceux-ci garderont du disparu. Les groupes terroristes, eux, l’ont bien compris, puisqu’ils accordent fréquemment des « primes » aux familles, et érigent en « martyrs » ceux qui sont morts en tuant des innocents.

« Agir sans parler l’emporte sur le fait de parler sans agir. » Le sultan seljoukide Ahmad Sanjar se réveilla peu de temps après son accession au pouvoir avec une épée plantée dans le sol à côté de son lit. C’était un message de la secte des Haschischins, liée à l’islam chiite. Ils lui faisaient savoir qu’ils pouvaient le tuer s’ils le voulaient et qu’il était donc préférable, dans son propre intérêt, de les laisser tranquilles. Ce qu’il fit avec sagesse.

Et encore : si un inconnu se comporte mal ou vous menace, saisissez votre téléphone et prenez-le en photo. Ne sachant pas quel usage vous pourriez faire de ces clichés, les mauvais coucheurs ont généralement tendance à se cacher le visage et à déguerpir. Sauf ceux qui vont vous frapper et vous voler votre portable – cas que cet optimiste de Taleb n’envisage pas…. Dans ce cas, courez ! Les sales types redoutent de voir leurs mauvaises manières s’étaler sur les réseaux sociaux. Et Taleb de citer la discussion rapportée par Platon, dans le deuxième livre de La République, entre Socrate et Glaucon, à propos de l’anneau de Gygès. Celui-ci était censé conférer à son possesseur le super-pouvoir de se rendre invisible afin d’observer les autres. Socrate posait la question : les gens se comportent-ils correctement parce qu’ils savent qu’ils sont surveillés ou parce qu’ils sont bons ? 

Autre chose : Il ne faut pas se laisser impressionner par les diplômes universitaires. « Leurs titulaires n’ont démontré qu’une vraie compétence : leur capacité à réussir des examens mis au point par des gens comme eux__, ou à écrire des articles lus par des gens comme eux. » « Incompétence en série », qui ne doit pas faire illusion. 

Et enfin : la vraie mesure des inégalités n’est pas celle que propose Piketty – une des bêtes noires de Taleb, avec Steven Pinker et Richard Dawkins. Mesurer la répartition des richesses par tranches de revenus ou de fortunes ne nous dit pas grand-chose de l’état des inégalités dans une société. Ce qui compte, c’est la mobilité sociale : ceux qui sont en haut de l’échelle le restent-ils ou risquent-ils ou non de dégringoler ? La roue de la fortune tourne-t-elle rapidement ou demeure-t-elle bloquée ? Qu’il y ait des riches n’est pas une malédiction. Ce qui l’est, c’est que soit toujours les mêmes. A la place du coefficient de Gini, il propose le concept d’ergodicité : celle-ci serait considérée comme parfaite si chacun d’entre nous avait l’assurance de passer dix années de son existence dans chacune des dix tranches de revenus, du plus bas au plus élevé. Et bien sûr, que nous vivions tous cent ans… Voilà ce que serait la véritable égalité