

Le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin n’a pas été célébré avec le faste qu’on avait connu lors du 10e ou du 20e anniversaire. L'euphorie n'est plus vraiment au rendez-vous. Que s'est-il donc passé ?
Ce qui s'est passé, entre-temps, c'est que les Allemands et, nous tous, Européens, avons perdu un certain nombre de nos illusions. Nous ne croyons plus à « la fin de l’histoire », telle que la concevait Francis Fukuyama. Il n’y a plus désormais, prétendait ce célèbre essayiste américain, d’alternative au modèle de la démocratie libérale telle qu’elle s’est historiquement développée en Europe et en Amérique du Nord. La démocratie représentative avec son corollaire, le multipartisme, est devenue l’idéal de toute l’humanité. La liberté des échanges commerciaux, humains, comme intellectuels, est à présent l’aspiration commune de tous les peuples. Après avoir vaincu, les armes à la main, le défi des régimes totalitaires fascistes, l’Occident a également cessé de devoir relever celui des régimes totalitaires communistes. C’est la fin de l’histoire. L’humanité est réconciliée. Il n’y a plus qu’une seule civilisation humaine. La liberté a gagné.
Parler d'"annexion" de la RDA par la RFA est une imposture
Nous savons aujourd’hui que ce n’était pas exact. Il existe plusieurs alternatives politiques à la démocratie libérale. Surprise ! L’autoritarisme méritocratique, la dictature de parti unique, qui ont permis à la Chine de devenir la deuxième puissance du monde, est compatible avec un régime d’économie mixte, mi-privé, mi-étatique, et une économie de marché politiquement encadrée.
La démocratie illibérale à la Poutine a permis à une puissance en voie de déclassement de retrouver un rang international, au prix de l’abandon des libertés publiques. Elle séduit certaines opinions publiques en Europe même, en leur promettant de « reprendre le contrôle des frontières » et de bloquer les flux migratoires.
La théocratie islamiste, qui proclame que les préceptes d'une religion, telle qu'elle était pratiquée il y a un millier d'années, est la solution à tous les problèmes économiques et sociaux, a échoué en Egypte ; elle a été battue militairement en Irak et en Syrie, mais elle conserve de beaux restes dans l’Iran chiite.
Mais ce n’est pas parce que le système politique dont nous pouvons être fiers, parce qu’il nous fait libres, relativement prospères et solidaires, a des challengers qu’il nous faut sombrer dans le pessimisme, ni dans le révisionnisme historique. En effet, sous prétexte que le cœur est moins à la fête à Berlin, certains en profitent pour répandre des contre-vérités et transformer radicalement le sens de ce qui s’est produit il y a trente ans.
La vocation du mur
Non. Ce qui s’est passé, c’est que lors d’une conférence de presse donnée par le porte-parole du Comité central du Parti communiste de RDA, Günther Schabowski, un journaliste lui a demandé "Quand les Berlinois de l’Est seraient autorisés à se rendre à l’Est ?", la réponse, embarrassée du porte-parole, a été "A_utant que je sache, immédiatement_ ». En fait, il n’en savait rien.
Rappelons que Mikhaïl Gorbatchev, en visite d'Etat à Berlin-Est, à l'occasion du quarantième anniversaire de la RDA, cette même année, avait publiquement appelé à "faire tomber les murs de l'hostilité" entre les deux moitiés du continent. En tête-à-tête avec l'inflexible dirigeant communiste Erich Honecker, il l'avait prévenu que l'Armée Rouge n'interviendrait plus jamais pour rétablir les dirigeants communistes contestés par leurs peuples. Il avait aussi interdit de tirer sur les manifestants, de plus en plus nombreux dans les villes est-allemandes, à exiger la démocratie.
Mais dans la soirée du 9 novembre 1989, des dizaines de milliers de Berlinois de l’Est se sont présentés aux points de contrôle entre les deux zones, exigeant le passage. Dans la confusion qui régnait alors dans les hautes sphères du Parti, les soldats, débordés, ont fini par laisser passer. Il ne faut pas oublier qu’en cette année 1989, on risquait encore sa vie à vouloir quitter le secteur oriental de Berlin pour passer à l’Ouest. Une double rangée de murs en béton de 165 kilomètres de long, surmontés de barbelés isolait Berlin Ouest. Entre cette double muraille, se trouvait un no man’s land miné de 50 mètres de large, équipé de mitrailleuses à tir automatique et de miradors. Y circulaient des patrouilles armées. Elles étaient destinées à empêcher les Allemands de l’Est de fuir le "paradis socialiste".
Car oui, ce mur-là n’avait pas pour vocation d’empêcher les gens d’entrer, afin d’accéder à une vie meilleure, comme ceux d’aujourd’hui, auquel il est fort improprement comparé. Il était destiné à les empêcher de partir. Le paradis communiste était une prison.
Avant sa construction, dans la nuit du 13 août 1961, plus de deux millions d’Allemands de l’Est avaient abandonné leur maison, leur emploi et leurs amis, pour fuir à l’Ouest par Berlin. Le 6 février 1989 encore, un jeune homme de vingt ans, Chris Gueffroy, a été abattu par les soldats de l’Est en tentant de franchir le Mur. Il était la 136e victime d’un régime d’oppression et de terreur qui, contrairement à une légende répandue à présent, ne fait certes pas l’objet de regrets pour l’immense majorité de ceux qui l’ont subi.
L’été précédant la chute du mur, cent mille Allemands de l’Est avaient à nouveau fui en passant par la Hongrie qui, durant l’été 89, et avec l’accord de Gorbatchev, avait ouvert sa frontière avec l’Autriche. Durant l'été 1989, des dizaines de milliers d'Allemands de l'Est se sont présentés aux ambassades de RFA dans les pays d'Europe centrale, afin de tenter d'obtenir le droit d'y émigrer. Ils campaient dans les ambassades de Prague, Budapest, Varsovie...
Le 18 mars 1990 eurent lieu les premières élections libres de l’histoire de la RDA. Les communistes réformés du PSD y obtinrent 16 % des voix. Le SPD 22 %, la CDU et ses alliés 47 %. Le 23 août de cette même année, cette assemblée représentative, la Volkskammer, vota à une forte majorité (294 contre 62) la demande d’adhésion de la RDA à la RFA, en vertu de l’article 23 de la Loi fondamentale de la RFA. Il est donc mensonger de parler d’annexion.
par Brice Couturier
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