L'ancienne rivalité centre droit / centre gauche fait place à un nouveau clivage : conservateurs + populistes versus progressistes.
« Au printemps prochain, les élections au Parlement européen seront le défi le plus difficile jamais subi depuis le début du processus d’intégration. » C’est ce qu’écrit Stefan Lehne du Carnegie Endowment. En mai prochain, l’Union européenne pourrait bien jouer son existence.
Depuis quarante ans, la scène politique européenne a été dominée par la rivalité entre deux grandes forces politiques – les sociaux-démocrates du Parti des socialistes européens, et le centre-droit, regroupé au sein du Parti Populaire européen (PPE). Ces deux partis, d’accord sur l’essentiel, ont toujours dominé le Parlement européen, où ils ont compté, suivant les législatures, entre 2/3 et la moitié des députés. Le consensus européen reposait sur leur entente. Et ils n’y ont jamais failli. Par temps calme, leurs deux mains reposaient ensemble sur la barre du bateau.
Mais le temps s’est gâté et le débat politique en Europe n’est plus structuré par cette rivalité centre gauche/centre droit. L’Union européenne a affronté successivement les tempêtes – financière, migratoire, géopolitique, interne avec le Brexit, et maintenant commerciale face à Trump. Les barreurs ont su assez bien négocier ces épreuves, sans changer de cap. Mais si la nature du projet européen demeurait plus ambiguë que jamais, cette fois, les enjeux seront d’une clarté aveuglante.
Je cite le journal portugais Publico : « Gouvernements et partis politiques européens se préparent à une année électorale sans commune mesure avec les précédentes. Les gouvernements des pays européens n’ont tiré aucun enseignement de la crise des réfugiés qui ébranle l’Europe depuis cinq ans – amenant des changements majeurs dans le paysage politique du continent. Rien n’est encore réglé et les conditions préalables au développement d’une politique d’asile et d’immigration communes sont encore moins réunies aujourd’hui qu’au début de la crise. »
Le politologue souverainiste québécois Mathieu Bock-Côté écrivait, la semaine dernière, dans Le Figaro, – je cite – « _les élections européennes de 2019 prendront la forme d’__un référendum sur l’immigration,_ qui pourrait accélérer la recomposition de l’espace politique européen. » A ses yeux, l’enjeu migratoire devrait, en effet, révéler une convergence entre la droite conservatrice et la droite populiste, d’accord entre elles sur une même « politique de civilisation ». Ces deux sensibilités, incarnées par Viktor Orban et Matteo Salvini, au-delà de leurs divergences, partageraient une même conception de l’Europe « non pas comme un ensemble désincarné, technocratique et flou, mais comme une réalité historique vivante », incarnée dans une culture commune.
Cette convergence, c’est précisément ce que redoute un autre regroupement. Celui-ci rassemble libéraux et sociaux-démocrates, partisans de la poursuite de l’ouverture et de l’intégration européenne. Ils entendent bien faire en sorte que le Parlement européen ne se retrouve pas dominé par des partis eurosceptiques ou europhobes, ayant pour dénominateur commun une conception illibérale de la démocratie.
Une bonne partie de la presse européenne voit cet affrontement entre blocs souverainiste et progressiste le nouvel horizon de la politique européenne. Ainsi, le Volkskraut néerlandais écrit : « Orban envisage ces élections en tant que chantre de la culture chrétienne - contre le multiculturalisme, en pourfendeur de l’immigration, en champion de l’Europe des nations face à l’Europe fédérale… Selon le Premier ministre hongrois, les élites – et particulièrement celles de 1968 – sont responsables de tous les maux. Il veut rectifier le tir et, avec le virage qu’on observe en Autriche, en Italie et aussi un peu en Allemagne, il a le vent en poupe. _Macron__, lui, est prêt à relever le défi avec, à ses côtés, d’autres forces, progressistes, apôtres comme lui d’une Europe consolidée et de sociétés ouvertes et plurielles. Reste à savoir comment il compte s’y prendre_. »
Le projet européen de Macron passe justement par la dissuasion du centre-droit de nouer une alliance post-électorale avec des conservateurs souverainistes, hostiles au projet d’intégration européenne. Cela impliquerait notamment l’exclusion des eurodéputés d’Orban du PPE.
Mais l’ancien monde fait de la résistance… Manfred Weber, leader du PPE et candidat déclaré au poste de président de la prochaine Commission, vient de répéter qu’il refusait cette éviction. Et il en a profité pour faire des appels du pied à Salvini.
Mercredi, le Parlement européen votera sur l’opportunité d’engager contre la Hongrie, la procédure de l’article 7. On observera avec attention comment voteront les eurodéputés du PPE.
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