A quoi ressemblerait une politique étrangère européenne populiste ?
2019, l'année d'une "révolution en Europe" ?
Lors d’une récente conférence de presse commune, le patron de la Lega et vice-Premier ministre italien Matteo Salvini et la patronne du Rassemblement national, Marine Le Pen, ont déclaré qu’ils pensaient que l’année 2019 serait celle "d’une révolution dans toute l’Europe". Le fait est qu’après avoir surtout dénoncé l’Union européenne et ses institutions, ces deux partis font à présent le pari que les forces qu’ils représentent pourraient bien s’en emparer. En devenant majoritaires au Parlement européen en mai. Comme le résument d’une formule, Heather Grabbe et Stefan Lehne, « les populistes ne veulent plus tuer l’Union européenne – ils veulent la transformer de l’intérieur. »
Viktor Orban : « Il y a trente ans, nous (les Hongrois) pensions que l’Europe était notre avenir. A présent, nous pensons que nous sommes l’avenir de l’Europe. » Bref, que le modèle de la « démocratie illibérale » qu’incarne la Hongrie, pourrait s’imposer à l’échelle européenne. Matteo Salvini, à la fin de l’année dernière : « Les élections de l’an prochain seront un référendum, un choix entre l’Europe des élites, de la banque, de la finance, de l’immigration et du travail précaire, et l’Europe des peuples et du travail. »
Les populistes se sentent pousser des ailes : centre-droit et centre-gauche sont dans la panade...
A travers toute l’Union européenne, les partis populistes se sentent pousser des ailes. Et pour cause : les partis sur lesquels a reposé tout le processus d’intégration européenne depuis 68 ans sont dans la panade. Ceux qui se réclament du centre-droit, conservateurs modérés et chrétiens-démocrates, sont en fâcheuse posture. En Allemagne, où il y a un vrai risque de voir l’AFD mordre profondément sur l’électorat d’une CDU, jugée trop à gauche par une partie de son électorat. En France et en Italie, Les Républicains et Forza Italia sont loin dans les sondages, derrière le Rassemblement national et la Lega.
Quant aux partis de gauche, socialistes et sociaux-démocrates, ils sont en voie de disparition. Le PS français a fait 7 et demi pour cent au premier tour des dernières législatives. Et même le Partito Democratico de Matteo Renzi, un temps espoir du centre-gauche européen, est tombé en-dessous des 20 % d’intentions de vote. Seuls échappent à ce destin, les partis qui se sont radicalisés, à l’image du Labour de Corbyn, au Royaume-Uni.
Quelle serait la politique étrangère d’une UE où les partis d’extrême-droite, eurosceptiques, seraient majoritaires ?
Réponse de Judy Dempsey, qui consacre une note à ce sujet sur le site du think tank Carnegie Europe : les populistes, parce qu’ils appartiennent à des partis extrémistes, ont une tendance naturelle à tout interpréter de manière idéologique. Comme sur la scène intérieure, où ils considèrent leurs opposants comme des ennemis malfaisants à faire taire, sur la scène internationale, ils ont tendance à voir partout de tels croquemitaines. Du coup, leur politique étrangère, parce qu’elle est moins sensible au poids des réalités et des intérêts que celle des diplomates classiques, est imprévisible et contre-intuitive. Voyez Trump.
Imaginer comment une UE dirigée par des partis populistes se comporterait dans le vaste monde ? Mais d’ores et déjà, plusieurs Etats membres sont dirigés par de tels partis. Voyez l’Italie, la Hongrie et la Pologne. Et les populistes sont associés au pouvoir dans beaucoup d’autres – Autriche, Bulgarie, République tchèque, Finlande, Grèce, Lettonie, Slovaquie. Cela n’est pas resté sans effet sur la politique actuelle de l’UE. On l’observe à des petits signes, comme la place très importante qu’a prise la question de l’immigration dans l’agenda européen.
Affaiblir l'UE de l'intérieur, mais plus la démanteler, ni la détruire.
Dans The Spectator, Frederik Erixon explique : les populistes européens, en accédant au pouvoir, ou en s’en approchant, ont changé de caractère. Ce ne sont plus de simples agitateurs. Ils disposent à présent de réseaux intellectuels, de revues et d’instituts. Ils demeurent nationalistes – et même xénophobes – c’est pourquoi l’idée de Steve Bannon de les fédérer en un réseau ultra-conservateur ne peut pas réussir : il n’y a jamais eu "d’Internationale nationaliste". Mais les malheurs des Britanniques depuis leur vote pour le Brexit ont donné à réfléchir à leurs électeurs… A présent, les populistes européens sont eurosceptiques, mais pas contre le maintien de leurs pays dans l’UE. Ils veulent rendre du pouvoir aux Etats membres et en retirer à Bruxelles. Réformer l’UE, afin de l’affaiblir, mais plus la quitter, ni la dissoudre.
Dans le Parlement européen actuel, les populistes pèsent un cinquième du total. Mais l’usage qu’ils font de leurs mandats diffère selon les partis. La plupart désertent résolument l’assemblée et ses travaux, se servant seulement de leurs indemnités pour renflouer les caisses de leur mouvement. D’autres privilégient les apparitions médiatiques à Bruxelles. La réaction des partis traditionnels a été d’exclure autant que possible les eurodéputés populistes des lieux de décision, en particulier les commissions. Mais si demain, ils en prenaient la tête ?
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