Dans "La peur de la liberté", publié en 1941, le sociologue et psychanalyste allemand Erich Fromm mettait en lumière les fondements socio-psychologiques qui sous-tendent l'adhésion des individus à des idéologies autoritaires comme le nazisme ou le fascisme.
Dans La peur de la liberté, publié en 1941, le psychanalyste dissident Erich Fromm (1900-1980) analyse la naissance de l’individu moderne, à l'époque de la Renaissance, avec les outils de la psychanalyse et de la psychologie sociale.
Ce que le protestantisme avait commencé à faire en libérant spirituellement l’homme, le capitalisme l’a poursuivi mentalement, socialement et politiquement. La base de ce développement a été la liberté économique et c’est la classe moyenne, la bourgeoisie, qui en a tiré le plus grand parti. L’individu n’était plus entravé par un système social figé, basé sur la tradition et avec seulement une petite marge de manœuvre pour son avancement personnel. (…) Il apprit à compter sur lui-même, à prendre des décisions responsables, à renoncer aux superstitions, qu’elles soient apaisantes ou terrifiantes.
Erich FrommPublicité
Quand une philosophie vient coïncider avec des besoins psychologiques...
Avec le capitalisme, l’individu moderne prend sa forme psychologique. Il parvient à échapper aux angoisses nées de la "liberté négative", celle qui naît de l’arrachement aux communautés organiques du Moyen-Age. Il bénéficie de la "liberté positive", celle de développer sa propre personnalité, de faire preuve de créativité. A cette époque positive, celle où la classe bourgeoise est en pleine ascension, Kant et Hegel développent une philosophie qui répond aux besoins psychologiques de cette bourgeoisie montante. Elle est basée sur les idées d’autonomie, de conscience individuelle et de sens du devoir, sur fond historique de progrès vers la liberté. Le bourgeois de la Renaissance, selon Erich Fromm, étourdissait son angoisse par un activisme frénétique. Celui des temps modernes poursuit le succès et le gain comme des fins en soi. Et cela constitue une rupture historique. Encore faut-il que le système socio-économique lui laisse exprimer sa part de créativité...
Capitalisme : les ressorts psychologiques d'une adhésion massive
Mais avec le développement du capitalisme moderne au XXe siècle, à l’âge des monopoles et des immenses concentrations industrielles et de la financiarisation de l'économie, l'individu réalise qu’il est devenu un rouage de l’immense machine. Il se sent aliéné et il est gagné par un sentiment d'insignifiance. En Allemagne, l’hyper inflation de 1923 ruine les épargnants et enrichit les jeunes spéculateurs audacieux et transgressifs. Le krach de Wall Street au début des années 30 porte un coup fatal aux valeurs bourgeoises. Erich Fromm montre comment le sentiment d’insignifiance et de vulnérabilité des masses américaines est parfaitement incarné par le personnage de Mickey Mouse : une petite souris pleine de dynamisme et de bonne volonté, poursuivie par des forces gigantesques qui menacent continuellement de la dévorer.
Le masochisme, fondement psychologique de tous les fascismes
Mais en Allemagne, le petit-bourgeois cherche à "fusionner avec quelque chose d’extérieur dans le but de retrouver un sentiment de puissance". Poussé par la haine de soi, il cherche à se débarrasser du fardeau de son individualité et de sa liberté, à se perdre lui-même. Dans l’adhésion à un parti de masse, il va gagner une sécurité contre le doute qui l’accable. Cesser de se sentir responsable de son propre sort. En outre, dans la soumission à un chef, il va trouver une illusoire sécurité et communier avec des millions d’autres...
Le nazisme répond aux besoins psychologiques du caractère autoritaire, tel que l’analyse Erich Fromm. "Un trait du caractère autoritaire a trompé de nombreux observateurs : une tendance à défier l’autorité et à éprouver du ressentiment contre toute type d’influence provenant « d’en haut ». Ce type de personnalité se rebellera constamment contre tout type d’autorité". Mais précisément, le mouvement fasciste canalise cette mentalité rebelle. Il lui offre un exutoire : celui de ses violences en bande organisée. Terrifier, agresser, puis exterminer des boucs-émissaires sans défense le fait se sentir dur et fort. _"Pour le caractère autoritaire, l’activité est enracinée dans un sentiment élémentaire d’impuissance qu’il tente de vaincr_e" écrit encore Fromm. Et on comprend bien en quoi se joindre à une force qui se promet de tout écraser sur son passage peut répondre à ce sentiment. "Je peux échapper aux sentiments de ma propre impuissance vis-à-vis du monde qui m’est extérieur en le détruisant" écrit Fromm.
La vie a son propre dynamisme intérieur. Il semble que lorsque cette tendance est réprimée, l’énergie vers la vie subit un processus de décomposition et se transforme en énergie dirigée vers la destruction. Plus la pulsion de vie est contrariée, plus forte est la pulsion de destruction.
Eric Fromm
Il y a des éléments dans l’analyse de la mentalité fasciste qui conservent une originalité très forte dans La peur de la liberté. Je pense à ce passage où il décrit les sources psychologiques de la pensée fasciste : "la conviction que la vie est déterminée par des forces extérieures au Moi, à ses intérêts, à ses souhaits". Il y avait, chez les nazis, un masochisme spécifique. Il se traduisait à la fois par un pessimisme plein d’amertume et qui explique "le courage de souffrir sans se plaindre", typique du combattant nazi. "La philosophie autoritaire est essentiellement relativiste et nihiliste, écrit Erich Fromm. Elle est enracinée dans un désespoir extrême." Il y a, chez les fascistes, une espèce d’amertume vengeresse qui se cherche une traduction dans la soumission au chef et dans l’action violente.
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