Faut-il taxer les robots ? Certains économistes le pensent

France Culture
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Mais plutôt sous la forme d'une taxe forfaitaire, acquittée lors de son acquisition.

Faut-il taxer les robots ? Cette question figure dans la campagne électorale présidentielle, mais elle est également discutée hors Hexagone. Qu’en disent les économistes ?

Yanis Varoufakis, l’ancien ministre grec des finances, ne croit pas à la faisabilité d’une taxe sur les robots. Et il part d’un de ces cas concrets sur lesquels les économistes aiment à raisonner. Vous avez un gros cultivateur nommé Luke qui emploie depuis des années un conducteur de moissonneuse nommé Ken. Sur le salaire que Luke verse à Ken, l’Etat et les organismes de protection sociale prélèvent un pourcentage destiné à financer la solidarité. Si Luke, après avoir fait ses comptes, réalise qu’il peut amortir en peu d’années l’achat d’un robot capable de conduire sa moissonneuse, il va être tenté de licencier Ken et de le remplacer par une de ces intelligences artificielles.

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Avantages multiples : une fois achetée, la machine intelligente ne réclame pas de salaire, ne prend pas de pause-déjeuner, ne tombe jamais malade, ni ne fait grève pour demander une augmentation… Mais si un pourcentage important de gros propriétaires agricoles remplacent leurs ouvriers par des robots, comment va-t-on financer les programmes sociaux ? D’autant qu’il y aura beaucoup de Kens à secourir et à former pour de nouveaux jobs…

La solution la plus évidente, poursuit Varoufakis, serait de prélever annuellement sur les revenus de Luke une contribution sociale égale à celle qu’il acquittait pour Ken, l’année avant son remplacement. Faux calcul, poursuit notre ex-ministre grec qui est aussi professeur d’économie. Car ce serait considérer que le salaire de Ken était destiné à n’évoluer jamais au fil du temps. On pourrait réévaluer ce salaire ? Sans doute, mais vous imaginez les négociations avec l’administration compétente, les appels suspensifs, etc ? En outre, sur le plan des principes, on aboutirait à une formule bancale : on essaierait de faire payer un impôt au robot conducteur de la moissonneuse, alors que c’est tout de même celle-ci qui fait le plus gros du boulot… Et les ingénieurs, pressés par les exploitants agricoles, auraient vite fait d’imaginer des intelligences artificielles, intégrées aux moissonneuses, capables de les piloter.

Bill Gates, l’un des rares milliardaires de la place, à être favorable à une taxe sur les robots, soutient plutôt une autre formule, plus simple en apparence à mettre en place : une taxe forfaitaire payée par l’acheteur au moment de l’acquisition d’un robot. A ses yeux, une telle taxe aurait en outre un effet dissuasif qui permettrait au moins de retarder la robotisation. Mais là encore, il suffirait de disséminer l’intelligence artificielle dans d’autres machines pour échapper à la taxe dissuasive. Pour faire face à une telle parade, les pouvoirs publics seraient bientôt amenés à taxer tous les biens d’équipement… Imaginez le tollé, écrit Varoufakis. C’est pourquoi la formule qui aurait sa faveur serait un dividende de base universel, financé par une appropriation collective d’un certain pourcentage du capital. « Plaçons une partie du capital de la ferme de Luke dans une société de gestion publique, qui versera ensuite un revenu universel à tout le monde », écrit-il.

La raison : les grandes innovations d’autrefois, celles qui ont permis à nos systèmes de production de faire des bonds de productivité immenses, ont été conçues, dans leur garage, par des inventeurs de génie. Celles qui ont lieu aujourd’hui, sont le fruit d’une « socialisation croissante de la production de captal ».

D’autres économistes sont favorables à la taxation des robots. Cette idée ne déplairait pas à Robert Shiller, Prix Nobel d’économie, qui réfléchit au même sujet sur le même site, Project Syndicate. Shiller observe d’abord que la robotisation risque d’aller plus vite qu’on ne l’imagine. Ainsi, à Singapour, en avance sur le reste de la planète, deux compagnies, Delphi et nuTonomy ont déjà commencé à remplacer les chauffeurs de leurs taxis par des systèmes de pilotage automatiques. Et Doordash, qui utilise des mini-voitures de livraison automatiques, est en train de remplacer les livreurs de repas à domicile. Il n’y a donc pas de temps à perdre. Car le travail n’est pas seulement un facteur de production, il joue aussi un rôle social. C’est par lui que chacun a une chance de sentir qu’il occupe une place dans la société. Si le travail devait disparaître, même si c’est pour le temps d’une période d’adaptation, c’est le fonctionnement de la société qui en serait altéré.

Taxer donc, mais sous quelles formes ? D’abord, relève Shiller, le terme robot est ambigu. Quelles machines seraient mises à contribution ? Ensuite, quel impôt ? Logiquement, il devrait s’agir d’une taxe forfaitaire, si on ne veut pas provoquer des distorsions dans l’économie. Mais les impôts uniformes sont injustes : taxant également les plus riches et les autres, ils pèsent plus lourdement sur les seconds.

C’est pourquoi Shiller finit par préconiser un relèvement des impôts sur les revenus des plus aisés – dans la mesure où ils bénéficient des gains de productivité dus à la robotisation. Puisqu’il s’agit d’une technologie disruptive, « une taxe modérée et temporaire » - je cite – serait destinée à alimenter un fond permettant aux personnels privés de leurs emplois par ces innovations d’opérer « leur transition vers une nouvelle carrière. » On le voit, cette question agite le petit milieu des économistes. Demain, je vous exposerai les raisons de ceux qui n’y croient pas.