Folie des foules versus intelligence collective

Pour le biologiste Wataru Toyokawa, « les foules humaines peuvent être affectées de folie collective, quand des connaissances invalides, voire nuisibles, deviennent virales. »
Pour le biologiste Wataru Toyokawa, « les foules humaines peuvent être affectées de folie collective, quand des connaissances invalides, voire nuisibles, deviennent virales. » ©Getty - 	soberve
Pour le biologiste Wataru Toyokawa, « les foules humaines peuvent être affectées de folie collective, quand des connaissances invalides, voire nuisibles, deviennent virales. » ©Getty - soberve
Pour le biologiste Wataru Toyokawa, « les foules humaines peuvent être affectées de folie collective, quand des connaissances invalides, voire nuisibles, deviennent virales. » ©Getty - soberve
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Peut-on se fier à l'intelligence collective pour résoudre des problèmes compliqués ?

L'intelligence collective peut-elle faire mieux que les réunions d'experts ?

Les foules sont-elles irrationnelles et stupides ? A contrario, existe-t-il une intelligence collective capable de résoudre des problèmes trop compliqués pour les experts eux-mêmes ? 

La question a été débattue depuis des siècles, mais elle prend un sens très nouveau dans le contexte actuel de rébellion des masses contre les élites. De duel entre ochlocratie (gouvernement par la foule)  et méritocratie (gouvernement des mandarins). Mais, pour en venir à l’actualité nationale la plus chaude, c’est une question réactivée par le Grand débat national : qui nous garantit que les impressions recueillies auprès de millions de Français, sur des sujets aussi complexes que la politique fiscale ou l’organisation des pouvoirs publics, vont permettre de faire émerger les solutions les plus judicieuses ? Les mieux adaptées à la situation actuelle de notre pays ?

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Le risque du conformisme : s'aligner sur les plus bruyants...

L’université de Saint-Andrews, en Ecosse, vient de rendre publique une étude menée à ce sujet, au sein de son département de biologie. Selon son responsable, Wataru Toyokawa, cette étude démontre que les comportements irrationnels grégaires (maladaptive herdings) ont tendance à se manifester quand la taille du groupe de référence augmente, ainsi que s’accroît le niveau de difficulté des problèmes à résoudre. Pourquoi ? Parce qu’au-delà d’un certain nombre de participants, les membres d’un groupe ont tendance à se conformer à ce qu’ils pensent être l’avis de la majorité, plutôt que d’essayer de prendre connaissance, par eux-mêmes, des données d’un problème. 

Wataru Toyokawa écrit : « les foules humaines peuvent être affectées de folie collective, quand des connaissances invalides, voire nuisibles, deviennent virales__. » C’est le genre de comportements dangereux qu’on observe notamment lors de la formation des bulles financières, sur les marchés. Et c’est, évidemment, le risque que nous font courir les nouveaux médias numériques. 

Deux facteurs entrent alors en jeu : le conformisme et l’imitation. Avant de choisir un restaurant ou un candidat aux élections, nous cherchons à savoir ce qu’en pensent les autres. Nous avons tendance à mettre de côté ce que nous savons pour nous fier à l’avis des autres – or, ce sont, en règle générale, les plus extrémistes et les plus bruyants, qui se font le plus entendre. On les confond avec l’avis de la majorité, parce que la majorité préfère se taire.

Les abeilles aussi sont des animaux sociaux. Elles manifestent une réelle capacité à prendre des décisions collectives. Le fameux biologiste autrichien Karl von Frisch, l’avait observé, au XX° siècle, lorsqu’une abeille a déniché une source d’alimentation, elle revient à la ruche en frétillant des ailes. Plus cette « danse » dure longtemps, plus elle signale à ses congénères que la source est abondante. Notre problème, à nous, heureux ressortissants du XXI° siècle, c’est la puissance inégalée des moyens de communication dont nous disposons. Certaines folies collectives peuvent prendre des dimensions virales, à cause des réseaux sociaux.

Pourtant, certains intellectuels persistent à miser sur l’intelligence collective. 

Oui, c’est le cas de Geoff Mulgan, qui fut l’un des principaux conseillers politiques de Tony Blair et de Gordon Brown, et le co-fondateur du think tank britannique Demos. Il vient de publier un essai intitulé « Grand esprit : comment l’intelligence collective peut changer notre monde ». La lettre confidentielle Phébé de cette semaine rend compte de cet ouvrage sous la plume de Pierre Schweitzer. 

« L’engouement pour l’intelligence collective, écrit ce dernier, vient du constat contre-intuitif selon lequel l’agrégation des avis d’individus nombreux, variés et ne se connaissant pas, dépasse très largement la capacité des plus excellents experts d’un domaine donné. » C’est évident, lorsqu’il s’agit d’opérations simples telles que l’évaluation du nombre de bonbons dans un bocal, mais ça l’est également face à des opérations plus complexes, comme de préconiser le meilleur coup aux échecs. Dans les cas, où il s’agit d’apporter une réponse précise à une question précise, on peut miser sur l’intelligence collective. Car les différentes réponses peuvent être facilement agrégées. 

Les conditions à remplir pour déboucher sur des actions concrètes.

Mais pour que l’intelligence collective puisse agir efficacement, plusieurs conditions doivent être réunies. En particulier, l’existence d**’un cadre conceptuel commun**, porteur d’une même vision du monde. Un constat de base partagé sur la nature des problèmes à résoudre. 

Et pour que fonctionne cette intelligence collective, 5 clés sont encore nécessaires : des communs autonomes (c’est-à-dire des éléments de connaissance qui ne soient pas soumis à une autorité hétéronome, ni à des censures) ; un équilibre raisonnable entre les différents éléments composant  cette intelligence artificielle ; que le groupe ait conscience que certaines dimensions du problème soient subalternes et ne méritent pas d’être prises en compte ; un retour d’expérience honnête et transparent ; enfin, je cite « la capacité à mettre de côté la complexité qui a servi à la réflexion au profit d’une simplicité qui favorise les actions concrètes.

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