Aux yeux de ceux que la question intéresse, notre République peut paraître sectaire et défensive. Affaire d'origine historique : Révolution, Valmy, levée en masse....
Notre chaîne, France Culture, consacre une journée aux thèmes de la République et de la laïcité. Une occasion de se demander ce qu’en disent les revues, les think tanks et les sites étrangers qui fournissent matière à vos chroniques.
J’ai demandé à mes amis et partenaires de World Crunch de m’alimenter en liens intéressants. Et ce qui m’a frappé, c’est que l’essentiel de ce qu’ils m’ont déniché à ce sujet datait… de l’été dernier. La presse internationale a énormément commenté l’affaire du burkini. Désolé de doucher notre orgueil national, mais notre République a, depuis, cessé de passionner le monde… A l’époque, et dans l’ensemble, les éditorialistes avaient tendance à comparer notre conception de la laïcité avec la formule séculariste, qui s’avère beaucoup plus souple. Mais les exceptions sont intéressantes.
Ainsi le cas de l’Uruguay. Ce pays, coincé entre deux grands pays catholiques, le Brésil et l’Argentine, est l’un des rares au monde à avoir adopté une laïcité très proche de la nôtre. Dès la Constitution de 1917, il a entériné le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat et, écrit Juan Carlos Carrasco, dans El Observador, les deux s’en trouvent fort bien. « L’Etat et l’Eglise y ont gagné la liberté de poursuivre chacun leur propre chemin en toute indépendance ».
Sur le burkini, Carrasco était partagé. D’un côté, il écrivait que, en France, comme en Uruguay, les religions ne doivent pas se manifester dans l’espace public et que la liberté d’expression ne doit pas être limitée eu égard à la sensibilité des croyants. Mais il estimait aussi abusif d’interdire aux musulmanes qui le désirent le port du burkini. En Iran, la police traque les femmes insuffisamment couvertes ; sur la côte d’Azur, une autre police met à l’amende celles qui le sont trop. Pourtant, l’Iran est un Etat religieux et la France un Etat laïc ; un tel Etat ne devrait pas se mêler de réglementer les tenues des baigneuses. Aux Uruguayens, cela rappelle trop le temps où les militaires interdisaient aux hommes les cheveux longs et les moustaches descendant en-dessous de la commissure des lèvres – signe d’appartenance à la mouvance gauchiste….
Voilà pour le burkini ! Mais il s’agissait d’une affaire qui date déjà de l’été 2016. Il n’y a donc plus d’intellectuels étrangers pour s’interroger sur le rôle que joue le thème de la République dans nos élections ?
Ce qui me frappe, c’est que, de plus en plus, c’est à des intellectuels français qu’on demande de commenter notre vie politique… Le grand think tank américain Carnegie Endowment publie un article d’Alice Baudry et de Laurent Bigorgne (de l’Institut Montaigne). Sur le site Project Syndicate, c’est Dominique Moïsi (de l'IFRI) qui s’y colle. Dans le mensuel Prospect, l’article (consacré à Emmanuel Macron) est signé de notre Christine Ockrent. Et dans Standpoint, on lit un long article de Michel Gurfinkiel. Cela signifie-t-il qu’on considère désormais que seul, un regard français peut démêler l’imbroglio national ?
Une exception : le site Spiked, décidément très intéressant, vient de publier un article de fond, signé Julian Lagnado. Jamais, en apparence, la République ne s’est si bien portée en France, constate cet auteur, avec ironie. De Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, tous les candidats aux élections présidentielles françaises affichent un attachement sans faille à un idéal républicain qui n’est contesté par personne. La droite néo-gaulliste a même poussé cette posture jusqu’à revendiquer le monopole de l’appellation : « Les Républicains »…
Mais le républicanisme prend des sens bien différents, selon les cultures. Quelle est la particularité de cette invocation dans le cas français ?
Réponse de Lagnado : la République française se ressent de son origine. Même si la plupart des Français n’en ont pas conscience, ce régime prend naissance dans la menace étrangère et l’urgence, pour le peuple en armes, de courir aux frontières. Car le sentiment républicain français a connu le baptême en pleine Révolution, à Valmy, en réaction au risque de voir les armées autrichienne et prussienne marcher sur Paris et rétablir la monarchie à la pointe des baïonnettes. Depuis lors, en France, la République, prétend Julian Lagnado, est liée à la lutte nationale pour l’existence. Cela explique son caractère étrangement belliqueux. Mais, ajoute-t-il, ce sentiment de fragilité a toujours été, pour les Français, une source de résilience.
La République fut proclamée en septembre 1870, alors que les Allemands avaient envahi le pays et s’apprêtaient à mettre le siège sur sa capitale. Une fois de plus, les Français ont voulu croire en la capacité de ce régime de renverser une situation militaire désastreuse, en appelant le peuple aux armes.
Cela induit des conséquences qui ne sont pas toutes bénéfiques pour la société française, poursuit l’auteur. Entre autres, une relation insuffisamment médiatisée entre le citoyen et l’Etat. Faute de corps intermédiaires puissants et reconnus, les catégories sociales qui se perçoivent comme lésées, se tournent directement vers l’Etat. D’où la violence, étonnante aux yeux des étrangers, de nos manifestations. Et cette « vulnérabilité de tout le système politique français » face aux minorités, relevée par Hannah Arendt en mai 68.
Autre chose, le républicanisme français du XIX° siècle était universaliste. Il a soutenu le « printemps des peuples » de 1848. Celui d’aujourd’hui tend, au contraire, à l’isolationnisme, au protectionnisme. Il est hostile à la mondialisation.
La dernière grande manifestation républicaine, selon Spiked, fut celle du 11 janvier 2015 pour Charlie. Aujourd’hui, écrit Julian Lagnado, cette « unité est en lambeaux » Et d’ajouter : « Ce qui est frappant, c’est le bas niveau du sens civique et de la fierté nationale chez le peuple français. » En outre, déplore-t-il, la liberté d’expression a régressé.
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