Alors le rêve américain a tourné au cauchemar, la classe ouvrière est dans le descenseur social.
La semaine dernière, je vous ai présenté le livre de JD Vance, Hillbilly Elégie, que beaucoup de critiques américains ont présenté comme fournissant des clefs pour comprendre la victoire de Donald Trump. A travers sa propre trajectoire – Vance est issu de la classe ouvrière de l’Ohio, il explique le ressentiment des « petits Blancs » en colère. Les Etats-Unis sont devenus méritocratiques. Or la culture hillbilly valorise l’honneur, favorise la force physique au détriment des diplômes. Quels autres éléments peuvent expliquer le sentiment d’échec collectif ressenti par ces populations ?
Ce qui s’est passé, ces dernières années, aux Etats-Unis, c’est la dissolution du « rêve américain ». Les chansons de Bruce Springsteen nous le disent depuis des années : l’époque où non seulement les ouvriers américains pouvaient vivre confortablement, se payer leur grande maison de bois et leur gros pick-up, mais se sentir fiers d’appartenir aux « cols bleus » est terminée. Les « vrais hommes » arborant fièrement le casque blanc accrochés à la ceinture et une paire de gros gants dans la poche arrière du jeans, c’est du passé. Lorsque les usines n’ont pas été délocalisées, elles sont automatisées.
L’économie de la connaissance et les start-ups, c’est bon pour les malins bourrés de diplômes. L’ancienne fierté d’appartenir à la classe ouvrière, patriote et pivot de l’Amérique, a fait place à la honte de constater qu’on vit moins bien que les parents. Depuis deux générations, le descenseur social est en marche aux Etats-Unis. Au temps des grands-parents, on pouvait encore s’élever à la force du poignet. Aujourd’hui, c’est le cauchemar américain.
« Papaw et Mamaw estimaient tous deux que travailler dur était ce qui importait le plus. « Ne deviens jamais un de ces losers qui croient que les dés sont pipés, me disait souvent ma grand-mère. Quand on veut, on peut. Leur communauté partageait cette croyance qui, dans les années 50, semblait fondée. » (p. 47) –fin de citation. Deux générations plus tard, les descendants des mêmes familles ont cessé de croire au rêve américain. « Si vous pensez que le travail paie, alors vous travaillez. Mais si vous pensez que c’est impossible d’avancer, même quand on essaie, alors pourquoi essayer ? De même lorsque les gens échouent, leur tournure d’esprit les invite à chercher des coupables autour d’eux. J’ai récemment entendu un vieil ami de Middletown m’expliquer qu’il avait quitté son emploi parce qu’il en avait assez de se lever tôt le matin. Ensuite, j’ai vu qu’il se plaignait sur Facebook de « la politique économique d’Obama ». Nul doute que la politique économique d’Obama a eu des effets sur la vie de beaucoup de gens, mais cet homme-là n’en fait pas partie. Sa situation dépend directement des choix qu’il a faits, et son existence ne s’améliorera que s’il prend de meilleures décisions. Pour cela, il a besoin de vivre dans un environnement qui l’oblige à se poser les bonnes questions sur lui-même. Une tendance forte, chez les Blancs de la classe ouvrière consiste à accuser la société ou le gouvernement de tous les maux. » (p. 215)
Dans son Ohio natal, ces idées, qui semblent mettre en cause les acteurs plutôt que le système ont été prises assez mal. On a accusé vance de dresser des « hillbillies », sa famille et ses amis, un portrait humiliant. Pour se faire pardonner, Vance, qui est devenu une personnalité de premier plan et a gagné pas mal d’argent avec Peter Thiel, est retourné en Ohio. Il a d’abord tenté de se présenter aux élections sénatoriales. A présent, il dirige une association de secours aux drogués. Sans doute parce qu’il a eu toute sa vie à souffrir des addictions de sa propre mère, une abonnée aux programmes de sevrage. Et c’est vrai qu’il a beaucoup à se faire pardonner.
Parce qu’il prend à rebours une certaine « culture de l’excuse », prédominante dans les départements de sciences sociales des universités qu’il a fréquentées.
Durant ses études il a travaillé comme caissier dans une supérette. « Cela fit de moi, écrit-il un sociologue amateur ». Et il dénonce. Selon lui, des gens vivant des aides sociales revendent au magasin discount d’â côté des packs de sodas pour se payer des téléphones portables. D’autres s’endettent pour s’offrir des téléviseurs à écran géant plutôt que de nourrir proprement leurs enfants. Il montre également l’amertume de la population qui trime pour survivre et constate que ses impôts et cotisations sociales servent à entretenir, parmi les voisins, des « rois et des reines des allocs » qui n’ont jamais travaillé de leur vie. Habituellement, la droite accuse fréquemment les Noirs d’abuser des programmes d’aide sociale. Avec ce livre, on découvre que certains Blanc ne se gênent pas…. Et cela aussi a gêné. Ca et le fait que, pour Vance, les petits Blancs de la Rust Belt sont largement responsables de leur propre désastre.
« Nos maisons sont de vrais foutoirs. Nous hurlons les uns sur les autres comme des supporters de match de foot. Un membre de la famille au moins se drogue – parfois le père, parfois la mère, ou tous les deux. Dans les pires moments, nous nous tapons dessus devant le reste de la famille. (…) Enfants, nous ne faisons rien en classe et, devenus parents, nous permettons à nos enfants de ne rien faire non plus. (…) Nous choisissons de ne pas travailler, alors qu’il faudrait. Parfois, nous trouvons du boulot, mais ça ne dure pas. Tôt ou tard, nous serons virés soit pour absentéisme, soit pour avoir volé des marchandises que nous avons revendues sur eBay. (…) Nos mauvaises habitudes alimentaires et notre manque d’exercice physique nous destinent à une mort précoce. »
Ce qui a sauvé Vance, c’est l’armée. Dans les Marines, il a appris, dit-il, « le pouvoir de la volonté ». Le sens de ses responsabilités, le goût de l’effort, la capacité à exercer un leadership. Courez acheter Hillbilly Elégie, un livre lucide et puissant qui vous expliquera d’où viennent les électeurs de Donald Trump…
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