Les dirigeants communistes tentent de faire oublier les cafouillages du début, en incriminant les autorités locales et en retournant l'accusation d'autoritarisme et de centralisme excessif.
« Cette épidémie est le plus important défi qu’ait eu à affronter Xi Jinping à ce jour » pensent tout haut certains observateurs.
Des villes entières sont coupées du monde. La population chinoise vit tout entière dans la crainte de la contagion. L’économie du pays a été paralysée durant deux semaines. Le travail est censé reprendre ce matin dans l’ensemble de la Chine. Mais l’image de la Chine est atteinte chez ses voisins et dans le monde.
On se souvient combien l’accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernobyl le 26 avril 1986 avait contribué à précipiter l’effondrement du régime soviétique. Tout à coup était apparue en pleine lumière l’obsolescence de certains équipements, dissimulée à la population. Les gens n’ont plus supporté les mensonges lénifiants de leurs dirigeants, la censure.
L’épidémie de coronavirus peut-elle être le Tchernobyl de Xi Jinping ?
Voire remettre en cause la domination du parti communiste sur la Chine ? Dans la tradition chinoise, lorsqu’une catastrophe frappe le pays, quelqu’un doit en assumer la responsabilité. Un dirigeant doit être désigné et puni. Mais le pouvoir central, à Pékin, s’est arrangé pour faire porter le chapeau aux autorités locales, celles de la ville de Wuhan.
Elles sont coupables, en effet, d’avoir négligé les avertissements lancés, dès la fin décembre, par le docteur Li Wenliang. L’expertise de ce jeune ophtalmologue a été discréditée. La direction de la ville l’a accusé de propager de fausses nouvelles et l'a fait emprisonner. Ensuite, on a appris dans la presse chinoise que l’aide alimentaire et médicale dépêchée à Wuhan avait été détournée sur place par des dirigeants corrompus. La Croix Rouge de la province de Hubei est sous le feu des critiques. Des dotations de matériel médical, dont ses représentants avaient la charge, ont disparu.
D’où la mise en scène, par le pouvoir, d’une militarisation, depuis Pékin, de l’opération mise en place, que Xi Jinping a qualifiée de "guerre populaire contre le virus". Il l’a confiée à l’Armée populaire de libération. Il a menacé de "sanctions exemplaires" ceux qui désobéiraient. Il a dépêché sur place 1 400 personnels de santé, dont 260 médecins militaires. Il a fait surgir de terre, en huit jours, l’hôpital de Huoshenshan, dans la banlieue de Wuhan, capable d’accueillir un millier de patients. Un record dont bien peu de pays seraient capables.
Le calcul de la direction communiste est de faire oublier les cafouillages du début, en faisant preuve d’une efficacité exemplaire. Il s’agit, en effet, de démontrer au peuple chinois d’abord, et au monde entier ensuite, que l’autoritarisme et le centralisme paient, et qu’une démocratie libérale, parce qu’elle doit tenir compte de toute sorte de contraintes, aurait été incapable d’une telle performance.
Nouveau revers pour l'autorité de Xi Jinping
L'autorité du président de la République populaire de Chine était déjà discrètement contestée pour sa gestion de la crise de Hong Kong, pour la guerre commerciale avec les Etats-Unis ou la défaite du candidat de Pékin aux élections à Taïwan. Mais on impute aussi à Xi Jinping la responsabilité du ralentissement de la croissance. Les économistes, en Chine comme à l’étranger, se demandent si l’Empire du Milieu ne serait pas tombé dans le fameux "piège du revenu intermédiaire", ou "middle-income trap". Selon les auteurs de cette théorie, lorsqu’un pays atteint un certain niveau de PIB par habitant, il perd l’avantage compétitif à l’exportation que lui procurait le bas niveau des salaires et doit procéder à des investissements massifs pour changer de catégorie et fournir des services à forte valeur ajoutée. Sinon, il reste coincé entre les pays en développement aux salaires faibles et les pays bénéficiant des technologies de pointe, comme le numérique et les robots.
Face à tous ces déboires, l’attitude de la direction communiste chinoise a toujours été la même : incriminer des forces extérieures hostiles. Mais dans le cas du coronavirus, cette défausse ne tient pas : c’est du cœur même de la Chine qu’est partie l’épidémie.
Le mythe qui entourait et protégeait Xi Jinping ne tient plus. Xu Zhangrun, juriste
A l'instar de ce juriste et universitaire renommé, d'autres observateurs notent que Xi Jinping n’est pas apparu sur les écrans de télévision depuis une quinzaine de jours. Selon son habitude, face aux crises susceptibles d’amoindrir son autorité, il a dépêché sur place un autre responsable de premier plan. Le premier ministre, Li Keqiang, a fait le tour des hôpitaux de Wuhan, son masque de protection bien en vue, le 27 janvier. Mais pourquoi le président n’a-t-il pas fait lui-même le déplacement dans la ville en quarantaine ?
Sur les réseaux sociaux, les innombrables salariés des offices de censure gouvernementaux s’activent comme rarement pour faire disparaître toutes les critiques du gouvernement, ainsi que les messages réclamant la transparence sur les problèmes et la liberté de parole. Un militant connu des droits de l’homme, plusieurs fois arrêté, Xu Zhiyong a eu le temps de mettre en ligne le message suivant : "La médecine ne sauvera pas la Chine. C’est la démocratie qui sauvera la Chine." Avant qu’il soit supprimé par la censure...
par Brice Couturier
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