

Les vrais problèmes du pays sont d'ordre économique et démographique.
Les marchés financiers, de manière générale, n’aiment pas l’incertitude. Or, rarement situation politique aura été aussi incertaine que celle de l’Italie, qui vient de renouveler son Parlement, sans dégager de majorité susceptible d’appuyer un gouvernement. Pourtant, les marchés continuent à faire confiance à l’Italie. Comment l’expliquer ?
Des élections générales sans vainqueurs, un pays ingouvernable.
Le spread entre l’emprunt à 10 ans de l’Etat italien et celui de l’Allemagne était, à la veille des élections italiennes, à son plus bas niveau depuis 18 mois. Preuve, selon Alessio Terzi du think tank européen Bruegel, que les marchés s’attendaient à un résultat électoral tel que celui qui vient de tomber : sans véritable vainqueur. Pour rappel : la coalition de droite arrive en tête, avec 37 % des voix ce qui lui donnera 252 sièges. La coalition de centre-gauche obtient 23 % des voix, soit 107 sièges. La gauche, Libres et Egaux est à 3 %, soit 8 sièges. Mais le vrai vainqueur, c’est le Mouvement Cinq Etoiles, totalement inclassable et anti-politique. Il obtient 32 % des suffrages et pourra compter sur un groupe parlementaire de 235 députés.
Mais le plus préoccupant pour l’Union européenne, est le fait qu’au sein même de la coalition de droite, le parti de Berlusconi, Forza Italia, acquis à l’intégration européenne, est largement dominé par la Ligue, ex-du Nord, souverainiste et alignée sur les positions du Front national français. Respectivement 18 % pour la Ligue et 14 % seulement pour Forza Italia. De ce fait, le scénario envisagé par Berlusconi – mettre à la présidence du Conseil le modéré et rassurant Antonio Tajani, actuel vice-président du Parlement européen, tombe à l’eau. Les observateurs étrangers – investisseurs en tête – auraient donc bien des raisons de s’inquiéter d’une situation de blocage politique en Italie, dont la durée est garantie.
Et pourtant, une telle situation ne fait plus peur aux observateurs étrangers : l’Allemagne, réputée stable et raisonnable, sort à peine aujourd’hui d’une situation comparable : il lui a fallu 161 jours pour accoucher d’un gouvernement de Grande Coalition CDU/SPD. En Espagne et aux Pays-Bas non plus, les électeurs n’ont pas désigné de majorités claires et on a su faire avec. Les Italiens, si ingénieux, sauront bien trouver une solution, se rassure-t-on.
En outre, les partis les plus eurosceptiques avaient mis de l’eau dans leur vin pour séduire les franges les plus modérées de leur électorat. Plus question d’organiser illico presto un référendum sur la sortie de l’euro en cas de victoire, comme l’avaient promis plus tôt le Mouvement Cinq Etoiles comme la Ligue. Les retraités, en particulier, redoutent l’effet qu’aurait le retour à une monnaie dévaluée sur leur pouvoir d’achat.
La sérénité des marchés est de courte vue : les vrais problèmes de l'économie italienne n'étaient pas dans la campagne électorale...
Mais cette relative sérénité des marchés et des capitales européennes est de courte vue, poursuit, Alessio Terzi. Il n’est pas le seul à juger que l’état de l’économie italienne est très préoccupant. Et à estimer que ces élections, avec leur avalanche de promesses non financées risquent de ne rien arranger du tout. Forza Italia, dont le programme peut se réduire, selon Berlusconi lui-même en trois points : primo, moins d’impôts, deuxio, moins d’impôts, tertio moins d’impôts, entendait soumettre tous les revenus à une flat-tax unique au taux de 20 % sur le modèle de l’Estonie. Le Mouvement Cinq Etoiles a promis, de son côté, un revenu de base universel. Ces différentes innovations, si elles étaient mises en œuvre, alourdiraient encore un déficit structurel des finances publiques, devenu insoutenable.
L’Etat italien, l’un des plus endettés du monde.
Oui, avec une dette publique qui atteint 134 % du PIB, la charge des remboursements est devenue l’un des premiers budgets de l’Etat. La charge de la dette dépasse les 66 milliards d’euros par an ; elle dépasse la totalité des investissements publics, directs et indirects. Ceci, par temps calme, avec une politique de la BCE particulièrement accommodante, puisqu’elle rachète des obligations d’Etat à tour de bras… mais aussitôt que les taux d’intérêt vont remonter, ce qui est une question de mois et non d’années, la capacité même de l’Italie, à rembourser ces créditeurs, risque de poser question. Tout simplement parce que la croissance y est anormalement faible. Même si, comme dans toute l’Europe, elle s’est redressée l’an dernier : 1,5 %.
Et Alessio Terzi de citer la théorie dite de « l’impossible trinité » dûe à Francesco Papadia, un ancien directeur général de la BCE : « vous ne pouvez pas à la fois avoir l’euro pour monnaie, honorer des remboursements d’emprunts très élevés et avoir une économie stagnante. Ou bien vous mourrez étouffé.
Productivité stagnante, système bancaire en sursis et suicide démographique.
C’est vrai, l’économie italienne présente trois faiblesses inquiétantes : une productivité stagnante, un système bancaire en sursis, une démographie suicidaire. Or, le "miracle italien", celui des années 1950 et 60, était précisément basé sur une production par heure travaillée qui progressait plus vite que la moyenne des pays industrialisés. Depuis le milieu des années 90, cette productivité a cessé de croître. Conséquence : le revenu par tête est sensiblement le même qu’il y a un quart de siècle. En cause, selon Bruno Pellegrino et Luigi Zingales, des investissements très insuffisants par manque de capitaux, et une trop faible capacité du pays à exploiter les technologies du numérique pour abaisser les coûts.
L’Etat italien a une fâcheuse tendance à imposer davantage les revenus des capitaux investis dans la production que ceux tirés des revenus immobiliers. A bien des égards, l’économie italienne est une économie de rentes. D’où son manque de dynamisme.
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