La France apparaît comme fortement polarisée sur le plan politique.
Hier, j'ai commencé à vous résumer un article de l’historien britannique Robert Tombs, paru dans l’hebdomadaire conservateur The Spectator. Il y écrit que la société française est bloquée, mais que le pouvoir politique semble incapable d’y changer quoi que ce soit.
Il remarque que les réformes, même les plus timides, avortent dans notre pays de demi-mesures qui ne parviennent pas à régler nos problèmes, parce qu’il n’existe pas de consensus suffisamment large dans le pays pour les mener à bien. Il y a, écrit-il, une insatisfaction largement répandue, mais pas de solution acceptée. Dans le passé, les crises ont souvent été, en France, « des catalyseurs du changement » ; mais cette fois, un grand nombre d’électeurs ont perdu confiance dans les partis établis. Et cela fait la force du Front national, qui incarne cette exaspération.
Marine Le Pen a ajouté à son programme nationaliste une dénonciation véhémente de l’Union européenne en tant que « complot capitaliste étranger ». Or, si le Brexit a été très mal accepté du fort pourcentage des électeurs qui ne le souhaitaient pas, toute tentative similaire pour faire sortir la France de l’Union européenne provoquerait le chaos. Car notre pays est beaucoup plus polarisé politiquement que la plupart des autres nations européennes. « Trump et le Brexit nous ont persuadés que l’impensable est possible », écrit Tombs. En l’état actuel de l’opinion, une victoire de Marine Le Pen paraît peu vraisemblable, estime-t-il. Mais les choses pourraient changer en cas d’incident grave sur le front du terrorisme, en particulier.
Dans le cas où se réaliserait une telle hypothèse, il faudrait s’attendre, lit-on dans l’hebdomadaire conservateur, à la pire crise politique que la France ait connue depuis 1958. Plus probable, lui apparaît l’hypothèse d’une victoire d’Emmanuel Macron. Mais il estime aussi que les obstacles rencontrés par une telle présidence sur la voie d’une libéralisation de la France se révéleraient énormes et peut-être insurmontables.
En conclusion, l’historien prétend avoir entendu nombre ses amis français lui confier : « cette fois-ci, je ne voterai pas pour quelqu’un. Je voterai contre. »
Et qu’en pensent nos amis allemands ? Eux aussi vont tenir des élections décisives, cet automne. Quels parallèles tracent-ils avec nos propres échéances ? Sont-ils rassurés ou inquiets sur l’avenir du couple ?
Ullrich Fichtner dans Der Spiegel estime que la campagne électorale en France se révèle bien plus intéressante que prévu, du fait de l’élimination des poids lourds. Les primaires, en donnant la parole à la fraction la plus convaincue de l’électorat, ont « injecté de la polarisation dans le système politique », écrit-il. La victoire de Benoît Hamon à gauche a été l’expression d’une profonde révolte du tréfonds de l’électorat socialiste contre le cours social-démocrate suivi tout au long de son quinquennat par François Hollande.
De même, à droite, les primaires ont sélectionné un « ardent conservateur ». François Fillon paraissait le plus sérieux candidat à la victoire jusqu’aux révélations du Canard Enchaîné. « François Fillon, écrit Der Spiegel aime prêcher la morale et la décence, dont lui-même ne semble guère s’embarrasser ». Et l’hebdomadaire allemand de poursuivre : « Même s’il survit comme candidat, Fillon en sera si abîmé qu’il n’a virtuellement pas de chances de gagner. »
Cela bénéficiera à Marine Le Pen, poursuit Der Spiegel. Comme on sait depuis les déclaration de Schaüble et de Sigmar Gabriel, la classe politique allemande redoute plus que tout une victoire du Front national. « Ce danger est devenu réaliste », a récemment déclaré le nouveau patron du SPD. Celle-ci est parvenue à « transformer – je cite le Spiegel – la clique fasciste qui entourait son père en un parti moderne, populiste de droite. » Entourée d’une équipe de jeunes hommes malins, elle cherche à déguiser le fonds de son message, afin de toucher un large public. Elle manie en permanence le double discours. Au premier niveau, ce qu’elle dit est susceptible d’être approuvé par une large partie de l’électorat. Mais il y a un arrière-fond qui n’est compris que par la droite radicale. Cet exercice l’oblige à marcher constamment sur la corde raide.
L’hebdomadaire allemand semble écarter Benoît Hamon, pour son programme économique : il impliquerait 380 milliards supplémentaires de dépenses publiques, ce qui n’est pas réaliste. Mélenchon ? Encore pire aux yeux du Spiegel. La retraite à 60 ans, le salaire minimum à 1 300 euros, le retrait de l’OTAN et la reconnaissance de l’Etat palestinien, non, décidément, tout cela manque de sérieux… Quant à Emmanuel Macron, il remarque que, malgré son indéniable charisme, il lui sera difficile de jouer la carte de la dénonciation des élites et du système, alors que toute sa carrière démontre qu’il fait partie des deux.
Alors, qui ? Il est improbable que Marine Le Pen l’emporte, car si son électorat est stable et solide, les sondages montrent qu’au deuxième tour, elle serait battue, quel que soit le candidat qui lui serait opposé. « Et pourtant, conclut Der Spiegel, le reste de l’Europe est saisi d’un sentiment de malaise lorsqu’il regarde la France en cette année d’élection décisive. Parce que les gens n’ont pas oublié qu’il semblait bien que le Brexit n’allait pas se produire, et que pourtant, les Britanniques l’ont voté. » Bref, les Allemands ne croient pas trop au scénario Marine Le Pen présidente. Mais ils le redoutent quand même…
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