La crise du coronavirus a-t-elle bloqué l'ascension des populistes dans les démocraties ?

Donald Trump, Jair Bolsonaro : la pandémie a permis aux populistes de faire ce qu’ils savent le mieux faire : promouvoir la pensée conspiratrice...
Donald Trump, Jair Bolsonaro : la pandémie a permis aux populistes de faire ce qu’ils savent le mieux faire : promouvoir la pensée conspiratrice... ©AFP - Jim Watson / Evaristo Sa
Donald Trump, Jair Bolsonaro : la pandémie a permis aux populistes de faire ce qu’ils savent le mieux faire : promouvoir la pensée conspiratrice... ©AFP - Jim Watson / Evaristo Sa
Donald Trump, Jair Bolsonaro : la pandémie a permis aux populistes de faire ce qu’ils savent le mieux faire : promouvoir la pensée conspiratrice... ©AFP - Jim Watson / Evaristo Sa
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La crise du coronavirus a mis en lumière le rôle des experts et renforcé l’autorité des responsables politiques qui les écoutent. A contrario, on a vu les dirigeants populistes gérer l’épidémie de manière erratique. Peut-on miser sur un reflux de la vague populiste pour cause de coronavirus ?

Peut-on miser sur le reflux de la vague populiste pour cause de coronavirus ? La question est fortement débattue en cette rentrée. Le fait que les pays dirigés par des leaders populistes, en particulier, les Etats-Unis et le Brésil, aient été les plus touchés par l’épidémie, devrait avoir démontré l’inefficacité des "hommes providentiels" et des "tribuns du vrai peuple" à la Donald Trump et Jair Bolsonaro.

La pandémie, occasion pour les leaders populistes de faire ce qu'ils savent le mieux faire...

Dans les deux cas, on a assisté au spectacle consternant d’une dramatique sous-estimation initiale de l’épidémie – une simple "petite grippe" pour Bolsonaro, suivie d’une contestation des mesures préconisées par les experts, sous prétexte de défendre les libertés de mouvement et de réunion. Trump a publiquement critiqué l’inamovible directeur de l’Institut américain des maladies infectieuses, le Dr Anthony Fauci. Il a désapprouvé les gouverneurs qui décidaient de confiner leurs Etats. Il a relayé les fausses informations, présentant l’hydroxychloroquine comme un médicament efficace contre le coronavirus. Il a collaboré aux campagnes de désinformation, tendant à présenter l’épidémie comme un "complot ourdi par les élites pour justifier des mesures exceptionnelles". 

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La pandémie a permis aux populistes de faire ce qu’ils savent le mieux faire : monter des campagnes contre ceux qui ne sont pas d’accord avec eux, propager leur propre version des faits et promouvoir la pensée conspiratrice au détriment des avis scientifiques. Yasmeen Serhan, The Atlantic

A contrario, la crise sanitaire a renforcé la popularité des leaders issus de la classe politique traditionnelle : Angela Merkel en Allemagne, Jacinda Ardern en Nouvelle-Zélande, Giuseppe Conte en Italie - et, chez nous, Emmanuel Macron - ont obtenu de bons sondages suite à leur gestion de la crise. Face à un défi de cette ampleur, la compétence et la modération ont rassuré, quand l’outrance et l’agressivité alarmaient. 

Une occasion, pour certains, d'avancer leurs pions

Mais selon certains analystes, l’épidémie a, au contraire, constitué, pour certains leaders populistes, une excellente occasion d’avancer leurs pions. En Hongrie, Viktor Orban a profité de la situation pour faire voter, par une Assemblée nationale aux ordres, le droit de gouverner par ordonnances et sans contrôle parlementaire. En Pologne, le parti Droit et Justice a profité de l’interdiction des rassemblements pour bloquer la campagne de l’opposition. 

En outre, comme le fait remarquer le Canadien Michael Ignatieff, certaines mesures prises pour contenir le développement de la pandémie ont contribué à crédibiliser les politiques préconisées par les partis populistes. La décision de fermer des frontières, y compris entre pays membres de l’Union européenne a démontré que l’Etat-nation continuait à apparaître comme l’ultime recours des populations en cas de crise grave. 

En matière de gestion de crise, pas de choeur unanime des populistes

Le Tony Blair Institute for Global Change a publié une étude portant sur 17 pays où des partis populistes sont au pouvoir. Son auteur a étudié leurs réponses à la crise sanitaire, en distinguant deux critères : ont-ils sous-estimé ou non la gravité du risque épidémique ? Leurs réponses politiques ont-elles été libérales et donc comparables à celles adoptées par les gouvernements non-populistes, ou, au contraire illibérales comme celles des pouvoirs autoritaires ? 

Contrairement à une idée reçue, la majorité des gouvernements populistes (12 sur les 17) n’a pas sous-estimé la gravité de l’épidémie. Seuls 5 leaders populistes ont commis cette erreur initiale : Trump et Bolsonaro, déjà cités, plus Loukachenko en Biélorussie, Lopez Obrador au Mexique, et Daniel Ortega au Nicaragua. Sur les 12 populistes qui ont pris l’épidémie au sérieux, seule une minorité, là encore, a réagi de manière autoritaire, instrumentalisant la crise pour renforcer ses propres pouvoirs : Orban en Hongrie, Modi en Inde, Duterte aux Philippines, Morawiecki en Pologne, Erdogan en Turquie. 

Cette étude permet aux auteurs de la note de distinguer trois catégories distinctes de populisme : anti-establishment, culturels et socio-économiques. Un progrès bienvenu pour tous ceux qui se plaignent que l’appellation "populiste" soit devenue un concept fourre-tout au pouvoir d’élucidation décidément insuffisant. 

Ce que les populistes ont en commun, en tous cas, c’est, d’une part, une tendance à aggraver la polarisation idéologique au sein des nations, tout en prétendant lutter pour leur unité ; de l’autre, une capacité particulière à instrumentaliser à leur profit le mécontentement social. Comme le fait remarquer la politologue Nadia Urbinati, l’épidémie ayant provoqué un dramatique recul de la croissance, elle va se traduire par un niveau de chômage et une détresse économique et sociale qui ne peuvent qu’alimenter le populisme. Il faut donc s’attendre à une deuxième vague populiste…