Un Etat qui s'achemine vers les 100 % de PIB de sa dette publique est mal placée pour prétendre "refonder l'Europe".
Les Allemands répondent de manière peu empressée aux demandes de reconsolidation de la zone euro, présentées par les Français.
Oui, les Allemands résistent aux demandes réitérées de Macron de parachever la zone euro et d’en protéger les membres contre une prochaine crise financière. Si on veut comprendre pourquoi, on lira avec profit le texte donné par l’ancien gouverneur adjoint de la Bundesbank, Jürgen Stark au site Project Syndicate. L’année dernière, il a démissionné de son poste de chef économiste à la Banque centrale européenne. Cet économiste dit tout haut ce que le gouvernement de Berlin murmure pour ne pas fâcher les amis français.
Que voulons-nous faire de l’union monétaire demande Jürgen Stark ? Un ensemble dans lequel chaque Etat est responsable à titre individuel des politiques qu’il mène et doit en rendre compte ? Ou une union où les risques sont mutualisés à travers des transferts automatiques, à la manière d’une compagnie d’assurance ? La réforme qui vient d’être acceptée par les ministres de finances a introduit de nouveaux filets de sécurité. Et aux yeux Jürgen Stark, on s’est avancé d’une manière un peu trop hasardeuse sur la voie du partage des risques.
Mutualisation = faire payer les autres pour ses propres erreurs.
On pense ainsi avoir ainsi protégé l’euro. Mais ce n’est pas le cas, en réalité. Car les gouvernements qui prendraient des décisions hasardeuses – on peut penser à l’Italie – peuvent le faire en se sentant assurés de voir les autres payer pour leurs erreurs. Au nom de la solidarité.
Ces nouvelles réformes ont introduit un principe de responsabilité partagée, impliquant des transfers financiers d’un montant sans précédent en cas de crise. Et cela inquiète les Allemands. Car à leurs yeux, les véritables problèmes de la zone euro n’ont pas été traités. Or, ces problèmes sont : des niveaux d’endettement irresponsables, des institutions faibles, des marchés trop régulés, des banques dans lesquelles beaucoup trop de bilans demeurent infectés par des crédits sans valeur.
Les textes adoptés prévoient qu’un gouvernement « fiable » peut obtenir, sous certaines conditions une « ligne de crédit contingente ». Mais s’il a besoin d’un tel crédit, c’est très probablement que,fiable, il ne l’est pas.
Emmanuel Macron répète qu’il veut un budget de la zone euro.
Oui, mais le Français n’est pas clair sur ce à quoi il devrait servir à ses yeux : s’agit-il d’un fonds destiné à protéger le bloc en cas de choc ? De financer des investissements d’infrastructure communs ? Ou d’accompagner des réformes de structure, en incitant ainsi les gouvernements à les accomplir ? Ce que sous-entendent les Français, insinuant qu’ils sont prêts à faire ces réformes, que les pays du Nord ont déjà accomplies, mais que la récompense des efforts prenant plusieurs années à venir, il faut compenser à court terme les pertes subies par certains. Or, les réformes doivent être accomplies par les Etats-membres dans leur propre intérêt, rétorque l’ancien responsable de la Bundesbank. En clair : ce n’est pas aux contribuables allemands de payer pour des réformes qui n’ont que trop tardé en France…
Les urgences sont ailleurs, poursuit Stark. Le traitement préférentiel dont bénéficient les emprunts des Etats dans les banques de leur pays doit cesser. Car il met ces banques en péril en truffant leurs bilans de créances douteuses. Et c’est cela qui les fragilise. Les émissions d’obligations d’Etat devraient être plafonnées.
La "ligue hanséatique" juge que la France réclame trop de la solidarité des autres, sans être capable de régler ses propres problèmes.
Jürgen Stark semble autant le porte-parole d’une partie de la classe politique allemande que de ce qu’on appelle de plus en plus « la Ligue hanséatique », qui comprend des pays membres de l’euro, comme la Hollande, l’Irlande et les Baltes, mais aussi d’autres qui, comme le Damemark et la Suède ne l’ont pas adopté. Ces pays estiment, comme Jürgen Stark, que l’heure est au respect, par tous ses membres, des contraintes acceptées pour faire partie du club. De ce point de vue, le desserrement de la bourse par le gouvernement français, sous la menace d’une crise sociale aux prolongements insurrectionnels, nous place dans une situation délicate. Difficile de prétendre mener une « refondation de l’’Europe », comme le proclamait Emmanuel Macron, lorsqu’on dirige un Etat qui s’achemine vers les 100 % de PIB de sa dette publique.
Jürgen Stark exprime encore le point de vue de la Ligue hanséatique, lorsqu’il réclame la création d’une Agence fiscale indépendante, dotée du pouvoir d’imposer les règles communes aux Etats récalcitrants. La Commission européenne, « instance hautement politisée », écrit-il, en est incapable. « Les règles budgétaires doivent être rendues plus transparentes, crédibles et imposées à travers des sanctions automatiques envers ceux qui font preuve d’un manque de solidarité ».
On peut parier que la position de la France, qui paraissait relativement solide il y a un mois, va devenir plus difficile au sein de l’UE. Pour cause de crise des Gilets Jaunes. On ne saurait prétendre diriger l’Europe lorsqu’on peine manifestement à diriger son propre pays.
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