

"Ce qu’il nous faut, c’est de l’enthousiasme, de l’imagination et la capacité à affronter les faits, même les plus déplaisants, avec courage."
Une nouvelle biographie de l’ancien président des Etats-Unis vient de paraître, signée Robert Dallek. Ce mois-ci, dans le magazine intellectuel britannique Prospect, Michael Ignatieff revient sur l’héritage de Roosevelt.
Son article est intitulé The last great liberal. Il faut y voir une manière, pour cet intellectuel canadien, de prêcher pour sa propre chapelle. Car Ignatieff a dirigé le Parti libéral canadien. Aujourd’hui, il est le recteur de l’Université d’Europe centrale de Budapest, qu’Orban a dans le nez et voudrait faire fermer. Mais quelques mots sur cet auteur, avant de résumer les raisons qu’il donne de s’inspirer aujourd’hui du New Deal de Roosevelt pour faire face à l’époque nouvelle.
Longtemps professeur à Harvard, Michael Ignatieff intervient régulièrement dans la presse américaine, notamment le New York Times et la New York Review of Books. Ecrivain prolifique, tenté de mettre ses idées en pratique en passant à la politique, sa trajectoire rappelle celle du Péruvien Mario Vargas LLosa. Tous deux sont des écrivains, des intellectuels. Et tous deux sont des libéraux, qui ont échoué à conquérir la direction du gouvernement de leur pays. Prix Nobel de littérature, Vargas Llosa a été défait par Alberto Fujimori aux élections présidentielles de 1990. Devenu chef de file du parti libéral canadien, Ignatieff porte la responsabilité de la sévère défaite subie par son parti à l’élection fédérale de mai 2011, remportée par le conservateur Stephen Harper.
Battu dans sa propre circonscription, Ignatieff a d’ailleurs abandonné sur-le-champ la politique, afin de se consacrer à l’enseignement et à l’écriture. Il est revenu sur cet échec et en a tiré d’intéressantes conclusions dans un livre intitulé Fire and Ashes : Success and Failure in Politics.
Un livre qui n’a pas été traduit. Comme non plus, d’ailleurs, deux de ses romans sur trois. Quant à la quinzaine d’essais qu’il a publiés en anglais, parmi lesquels une importante biographie d’Isaiah Berlin, deux seulement ont eu l’honneur d’une traduction en français. Dont ce livre-bilan sur son expérience décevante de la politique, intitulé donc en anglais Feu et Sang : succès et échec en politique. Avis aux éditeurs !
Max Weber estimait que certaines carrières ne devraient pas mener à la politique. Celle des armes et l’Université, en particulier. Les militaires donnent généralement des politiques médiocres, tentés par la force et manquant d’imagination… Les universitaires ont l’épiderme trop sensible pour une profession où il y a beaucoup de coups à prendre. Michael Ignatieff est demeuré un universitaire. Les électeurs, écrit-il dans son livre, veulent qu’on les regarde dans les yeux et qu’on devine ce qu’ils ont envie d’entendre. Lui, confesse-t-il, n’a pas su.
Franklin Roosevelt, son modèle, lui, savait... Et l’article qu’Ignatieff consacre à Roosevelt est touchant, parce qu’il y dessine en creux le type d’homme politique qu’il aurait voulu incarner et le modèle qu’il n’a pas été capable d’égaler.
Roosevelt, un modèle politique pour temps de crise.
Roosevelt, c’est d’abord, une manière de « prendre le vent », quitte à sacrifier ses propres principes, lorsqu’ils lui semblaient inadaptés aux circonstances. Ainsi, était-il au départ un partisan de l’équilibre budgétaire. Mais face aux ravages de la Dépression, il réalisa rapidement que les recettes keynésiennes étaient les seules à pouvoir relancer l’économie américaine. Les investissements publics allaient amorcer la pompe de la demande intérieure.
D’où une série de grands projets d’investissements dans les infrastructures qui permirent de donner du travail à des dizaines de milliers de chômeurs. Construction de ponts, de routes, plantation d’arbres dans des parcs nationaux, électrification de villages reculés… Roosevelt imagina aussi de faire subventionner photographes et artistes afin qu’ils documentent le public sur les ravages causés par la Grande Dépression. La Farm Security Administration chargea Roy Stryker de recruter une équipe de photographes missionnés dans les Etats les plus pauvres. On leur doit certains des clichés devenus mondialement célèbres, témoignant de la misère et du désarroi de l’Amérique profonde dans les années trente. Je pense en particulier aux portraits de Walker Evans et de Dorothea Lange.
« Roosevelt, écrit Ignatieff, se débrouillait pour conserver une longueur d’avance sur les grands patrons qui le détestaient, sur les magnats de la presse qui faisaient campagne contre lui et sur les démagogues qui essayaient de lui arracher la confiance des électeurs ».
Elu gouverneur de New York à la fin de 1928, il avait démontré localement ce qu’un dirigeant doté d’imagination et de sens de l’organisation pour faire, face à la crise, afin d’aider les chômeurs. Son mot d’ordre ? « L’expérimentation audacieuse et persistante ». Il lui permit de gagner haut la main les élections présidentielles de 1932, remportant, ce qui est rarissime, 42 Etats contre seulement 6, pour son adversaire Herbert Hoover.
Aussitôt élu, il déclare : « ce qu’il nous faut, c’est de l’enthousiasme, de l’imagination et la capacité à _affronter les faits, même les plus déplaisants, avec courage__. (…) Nous avons besoin du courage des jeunes. Votre tâche n’est pas de faire votre chemin dans le monde, non, il est de refaire le monde que vous trouvez devant vou_s. » Il anticipait ainsi les appels d’un autre président démocrate, John Fitzgerald Kennedy, qui appelait les Américains à « ne pas se demander ce que leur pays pouvait faire pour eux, mais à ce qu’ils pouvaient eux-mêmes faire pour leur pays. » Il allait diriger les Etats-Unis pendant 13 ans, le plus long mandat de son histoire, alors que Kennedy, lui, fut brutalement empêché d’accomplir son destin.
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